Les potières contre les talibans

Écrit par Christian Caujolle
30 avril 2025
Les potières contre les talibans
La photojournaliste Véronique de Viguerie a saisi en pleine discussion ces femmes d’un petit village de montagne en Afghanistan. Les talibans viennent de leur interdire d’aller vendre leurs poteries dans la ville voisine. Une photo forte comme une peinture du XIXe siècle où l’esprit de résistance viendrait remplacer l’exotisme orientaliste.
La photojournaliste Véronique de Viguerie a saisi en pleine discussion ces femmes d’un petit village de montagne en Afghanistan. Les talibans viennent de leur interdire d’aller vendre leurs poteries dans la ville voisine. Une photo forte comme une peinture du XIXe siècle où l’esprit de résistance viendrait remplacer l’exotisme orientaliste.

Le 5 novembre 2024, la photojournaliste Véronique de Viguerie est à Kolala dans la province montagneuse du Badakhchan, dans le nord-est de l’Afghanistan. Un bout du monde qui fut longtemps un lieu de résistance à l’islamisme et aux talibans. Couronnée par maints prix pour ses reportages en Syrie, en Colombie, en Irak ou en Somalie, la Française connaît très bien ce pays qu’elle a exploré pendant vingt-cinq ans et dans lequel elle a vécu plusieurs années. C’est en accompagnant une ONG qui aide les habitants, et en particulier les femmes, à diffuser leurs objets d’artisanat qu’elle a réussi à se rendre dans ce village – évitant ainsi les démarches toujours complexes pour obtenir un visa de journaliste.

Quelques jours auparavant, des agents du ministère pour la Promotion de la vertu et la Répression du vice étaient venus ordonner aux femmes de ne plus sortir du village. Sauf cas de force majeure, et obligatoirement accompagnées d’un mahram, un homme de la famille. Cela signifie qu’elles ne peuvent plus se rendre à la petite ville voisine pour y vendre leurs poteries, ce qui leur donnait une forme d’indépendance et d’autonomie. Elles se sont donc réunies pour discuter avec le chef de village de la façon dont allait pouvoir s’organiser la commercialisation de leur production. On peut percevoir à leurs visages fermés qu’elles ne sont sans doute pas d’accord avec la solution proposée : que le chef, qu’on ne voit pas à l’image, aille les vendre pour elles, comme l’a rapporté Véronique de Viguerie.

Cette image ne devrait pas exister

Cette photographie évoque immanquablement une peinture orientaliste comme on les appréciait au XIXe siècle. Se détachant sur le fond d’ocre – qui ne fait qu’un avec la terre du sol, des murs des maisons et des poteries que certaines femmes tiennent en main –, les couleurs vives et les imprimés des vêtements renvoient aux toiles d’Alexandre-Gabriel Decamps. Les tableaux d’Antoine-Jean Gros, d’Horace Vernet ou encore d’Eugène Delacroix (on pense à la Noce juive dans le Maroc) ne sont pas loin. Mais ici, point d’exotisme, point de maniérisme, point de romantisme. Simplement une forme de résistance remarquable.

Cette scène tranche avec les habituelles photographies des femmes de Kaboul aux robes monochromes d’un bleu profond. Les femmes de Kolala ne sont pas, comme dans les zones où la charia est appliquée de façon rigoureuse, obligées d’avoir le visage complètement dissimulé dès qu’elles sortent dans l’espace public. Le 14 octobre, peu de temps avant que cette photographie soit prise, les talibans avaient réactivé un décret qu’ils avaient déjà imposé alors qu’ils dirigeaient le pays entre 1996 et 2001, et qui interdisait les images d’êtres vivants. Selon le pouvoir de Kaboul, cette photographie ne devrait donc pas exister.

« Afghanistan, no (wo)man’s land »

En mars 2025, la série de photos de Véronique de Viguerie sur les femmes d’Afghanistan a reçu le prix Roger-Pic, décerné par la Société civile des auteurs multimédia (Scam). Elle fera l’objet d’une exposition à Paris du 13 octobre 2025 au 6 février 2026.

Crédit photo : Véronique de Viguerie