Déesse du désastre

Écrit par Christian Caujolle
En ligne le 11 décembre 2024
Déesse du désastre
Un mercredi sur deux, « L'œil de XXI » décrypte une image puissante. Cette photographie d’Adnan Abidi, mettant en scène une jeune Indienne comme statufiée après des pluies torrentielles, rend universel le drame des mutations climatiques.
Un mercredi sur deux, « L'œil de XXI » décrypte une image puissante. Cette photographie d’Adnan Abidi, mettant en scène une jeune Indienne comme statufiée après des pluies torrentielles, rend universel le drame des mutations climatiques.

Dans l’embrasure d’une porte, figée, comme surgissant de la boue dans laquelle ses pieds sont englués au point de lui interdire tout mouvement, cette femme est devenue une statue. D’autant que le photographe, dans un cadrage audacieux, lui a tranché la tête, la renvoyant à la multitude d’effigies antiques, celles de la Grèce, plus tard de Rome, qui ont essaimé dans le bassin méditerranéen et que l’on retrouve aujourd’hui dans tant de musées à travers le monde : au Louvre naturellement, au Altes Museum de Berlin, au Metropolitan Museum of Art de New York pour ne citer que les plus remarquables. Le drapé du vêtement chargé de terre l’a transformé en toge, un motif exploré par les artistes néo-classiques tels le sculpteur Antonio Canova ou le peintre Jacques-Louis David. Les montants de la porte, les murs qui furent bleus, la robe, tout s’est uniformisé dans une variation de bruns nourris de rouge. Ils évoquent immanquablement la glaise à partir de laquelle les sculpteurs modèlent la forme de figures qu’ils pourront ensuite fondre en bronze et patiner de différentes teintes.  

Objet dérisoire

Cette femme qui ne tient dans sa main qu’un plat est pourtant notre contemporaine. L’objet, qui rappelle les patères utilisées dans l’Antiquité pour des boissons rituelles,  lui sert ici d’instrument, dérisoire, pour tenter de débarrasser la boue qui a envahi sa maison. Munni Devi, âgée de 28 ans, vit à New Delhi. Le 17 juillet 2023, la zone résidentielle dans laquelle elle habite a été inondée par le débordement de la rivière Yamuna, à la suite de fortes pluies.  Après le retrait des eaux, elle tâche de faire face au désastre. Le photojournaliste indien de l’agence Reuters Adnan Abidi, par ailleurs récompensé par de nombreux prix dont le Pulitzer, a documenté la situation dans sa ville et résumé, en un seul cliché symbolique, le désarroi des habitants.  

Loin des images de la télévision, répétitives, qui tendent à banaliser les drames, celle-ci est image frontale, sans effet de dramatisation, simplement descriptive, avec un choix judicieux de la distance. Et nous renvoie, à sa façon, à des situations récemment vécues en France, en Italie et en Espagne à la suite de dramatiques inondations – signes de l’aggravation des mutations climatiques.