Ce pourrait être une carte postale, disponible à la réception du luxueux hôtel où vous prendriez quelque repos et que vous enverriez à vos amis. D’autant que l’établissement syrien que l’on voit ici se trouve à proximité du Krak des chevaliers, dans une zone touristique réputée pour sa diversité et ses richesses culturelles, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Homs, au nord de la frontière avec le Liban. La citadelle, confiée en 1142 aux chevaliers de l’ordre des Hospitaliers, a en effet été, pendant plus d’un siècle, une solide défense occidentale en Orient contre les armées musulmanes, jusqu’à sa conquête par le sultan des Mamelouks. D’où le nom de la région : la Vallée des chrétiens, où il fait bon se réfugier lorsque la température dépasse les 40 °C à Damas. Une piscine offre la vue sur ces paysages magnifiques. Des hommes se baignent avant de rejoindre de confortables transats blancs. Au second plan, des fumées, légères, s’élèvent. On peut imaginer qu’elles proviennent de brûlis déclenchés par des agriculteurs.
Le photographe suisse Matthias Bruggmann, grand habitué des zones de conflits, est aussi précis dans ses cadrages que dans les légendes qui accompagnent ses images. À propos de celle-ci, il nous dit : « 11 septembre 2013. Certains des jeunes hommes photographiés ici faisaient partie de la milice chrétienne pro-Assad qui défendait Marmarita, et assiégeait le Krak des chevaliers et al-Husn, le village sunnite qui le jouxte. » Rappelez-vous : depuis les soulèvements de 2011, la Syrie se déchire, principalement entre les forces du régime de Bachar al-Assad, soutenues par de nombreuses milices, et des groupes rebelles. Le Krak des chevaliers a servi de lieu de repli aux opposants au président baasiste.
La présente image, fortement structurée en trois bandes horizontales, est caractéristique d’une approche qui refuse le spectaculaire d’une certaine « photographie de guerre » pour privilégier le sérieux de l’explication. Ce qui nous aide à réfléchir à la façon dont nous recevons l’information. Il y a les faits, leur transcription, les clichés préexistants, et, au bout, le récepteur. Il faut toujours prendre en compte cette chaîne complexe pour apprécier comment la rigueur du photographe permet au lecteur, en combinant l’image et les mots qui en précisent le contexte, de réellement s’informer.
« La citadelle fut reprise par l’armée syrienne en mars 2013, relate le photographe. Certaines personnes nageant dans la piscine sont des miliciens pro-Assad, les gens dans les villages alentour, des sunnites. La fumée derrière la piscine résulte de combats (bombardements ou incendies de buissons pour empêcher les combattants de se déplacer). » Autrement dit, cette scène raconte le repos des guerriers, quelques mois après leurs exactions.