Son visage anguleux camouflé sous un bonnet, le regard masqué par des lunettes aux verres teintés, l’homme au gros blouson aviateur en cuir entre d’un pas tranquille dans la clinique privée La Maddalena, à Palerme. Le nec plus ultra de Sicile, en matière de cancérologie. En ce jour de janvier 2023, le discret malade doit subir une nouvelle cure de chimiothérapie. Les caméras de surveillance ne ratent pas une seconde de son arrivée. Quelques minutes après, il ressort. Peut-être pour prendre un café, peut-être parce qu’il a compris que quelque chose se tramait. Trop tard. Sur le parking, les carabiniers des forces spéciales de Palerme lui passent les menottes. Il n’oppose aucune résistance. Le groupe d’intervention le somme de décliner son identité. « Je m’appelle Matteo Messina Denaro », répond-il, très calme. En une phrase, c’est un fantôme qui se matérialise sous les traits d’un homme affaibli. Cela fait des décennies qu’il hante l’Italie, tel un croquemitaine.
Deux années plus tard, un médecin généraliste terne, âgé de 72 ans, comparaît devant le tribunal de Marsala. Alfonso Tumbarello n’aurait jamais vu Messina Denaro dans son cabinet, mais le voilà présenté partout comme « le médecin du parrain ». En Sicile, les histoires ne sont jamais simples, et les faux-semblants sont partout.
« Diabolik » s’évanouit
Matteo Messina Denaro était introuvable depuis trente ans, tout rond. Jusqu’à son arrestation à la sortie de la clinique, le sexagénaire était le dernier des grands parrains de Cosa Nostra – l’emblématique mafia sicilienne – encore en cavale. Un des principaux instigateurs des crimes les plus graves perpétrés par l’organisation sur le territoire italien, condamné de multiples fois par contumace à la prison à perpétuité. Le Sicilien, dans une formule restée tristement célèbre, s’était vanté de « pouvoir remplir un cimetière » avec toutes les personnes dont il avait décidé de la mort – son premier meurtre remonterait à l’année de ses 18 ans. Aucun chiffre officiel n’existe, mais le nombre de ses victimes s’estime en dizaines – d’illustres anonymes aux icônes de la lutte antimafia, à l’instar des juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino. Messina Denaro aurait joué un rôle majeur dans la vague d’attentats à la bombe visant les magistrats s’attaquant à la Pieuvre en 1992.
L’année suivante, Messina Denaro s’évanouit dans la nature, recherché dans tout le pays et au-delà. Tous les scénarios avaient été envisagés pour expliquer la disparition de « Diabolik », un surnom hérité d’un de ses personnages favoris de bande dessinée, insaisissable criminel masqué : une fuite à l’étranger, une lourde chirurgie esthétique qui l’aurait rendu méconnaissable, sa mort… Rien de tout cela. Comme le veut la tradition de Cosa Nostra, le fugitif vivait tranquillement sur son île. Il continuait à mener ses affaires, entouré d’un solide réseau de soutien. « Si je parle, vous allez devoir arrêter des milliers de personnes », fanfaronne-t-il devant les forces de l’ordre. Le parquet de Palerme s’attelle alors à reconstituer le réseau de complaisance, connivences et complicités dont le parrain a pu bénéficier durant sa longue cavale. Dans la liste de ses protecteurs, passé le cercle des fidèles et affiliés à la mafia, on trouve des « amis » du monde économique, politique et institutionnel à n’en plus finir. Et aussi quelques blouses blanches, soupçonnent rapidement les enquêteurs.
Ces derniers ne pourront pas le sauver du mal qui le ronge. Messina Denaro meurt derrière les barreaux en septembre 2023, moins d’un an après son arrestation, emportant ses secrets avec lui. Mais comment a-t-il pu échapper à la justice alors même qu’il a dû subir plusieurs opérations et des traitements aussi lourds ? Le capo, le « chef », était atteint depuis plus de deux ans d’un grave cancer du côlon et s’est fait soigner comme n’importe quel autre malade. Mieux, il a été pris en charge avec une diligence et une fluidité remarquables en pleine crise du covid-19.
Loin de la carte postale
Combien de médecins ont protégé « Diabolik » des forces antimafia, en même temps qu’ils luttaient contre ses métastases ? Dans les heures suivant son arrestation retentissante, des vérifications sont lancées pour retracer son parcours clandestin au sein du système de santé italien. « Tous les cabinets et domiciles des médecins qui l’ont pris en charge sont alors immédiatement perquisitionnés », raconte un magistrat. Un nom se dégage vite : Alfonso Tumbarello. Quelques jours après le ponte de la mafia, ce médecin généraliste est arrêté chez lui, à Campobello di Mazara, suspecté d’avoir soigné le capo durant sa clandestinité.
En apparence, le docteur Tumbarello, fraîchement retraité, se reposait après vingt-cinq années passées aux petits soins des habitants de ce bourg rural sans charme, bétonné de toutes parts. Mais derrière cette façade de banalité, la petite ville de 11 000 âmes est gangrenée par la criminalité. Ce qui, aux portes de Castelvetrano, son fief familial, en faisait le refuge parfait pour Messina Denaro.
Ici, on est loin de la carte postale. Loin de l’élégance de Trapani, qui n’est pourtant qu’à une cinquantaine de kilomètres. La mer est à dix minutes de voiture et pourtant on étouffe. Depuis l’arrestation du parrain et de son toubib, la petite ville s’est transformée en Twin Peaks, cette bourgade américaine si paisible qui cache nombre de mystères dans la célèbre série de David Lynch. Qui savait quoi ? Qui avait reconnu le parrain dans ces rues où, en principe, tout le monde se regarde et se connaît ? On murmure beaucoup et on se tait encore plus, à Campobello di Mazara.
En voyant cet homme élégant, tout en lin, j’ai su que c’était lui. J’ai fait un signalement, qui n’a eu aucune suite…
Liliana Catanzaro, conseillère municipale à Campobello di Mazara
Liliana Catanzaro fait exception. Cette conseillère municipale d’opposition a appelé à la démission du maire après la capture de Messina Denaro. Elle est l’une des rares à rompre la lourde culture de l’omerta. Il faut tout de même tendre l’oreille pour l’entendre, attablée en terrasse du seul restaurant de la ville. « Même mort, tout le monde continue de respecter “Matte” [diminutif affectueux de Matteo] », se désole-t-elle. Elle en mettrait sa main à couper : il y a quelques années, celui-ci est entré dans le bar où elle travaillait. « Je n’ai pas pu le reconnaître formellement, raconte-t-elle. C’est difficile à expliquer, mais en voyant cet homme élégant, chapeauté, tout en lin, avec ce comportement et ces questions étranges, j’ai su que c’était lui. J’ai fait un signalement, qui n’a eu aucune suite… »
Quant au docteur Tumbarello, dont le procès se tient cet automne 2025 au tribunal de Marsala, plus au nord de l’île, sa réputation semble à peine écornée par les révélations. Don Pietro Pisciotta, le vieux prêtre de Campobello, lui aurait donné le bon Dieu sans confession. Alfonso Tumbarello était son médecin depuis dix ans au moment de son arrestation, témoigne-t-il d’un ton jovial, confortablement installé dans le canapé de la sacristie. Pour le consulter, le curé n’avait qu’à traverser la ruelle. La plaque dorée du médecin, qui n’a pas été décrochée malgré les lourdes accusations qui pèsent contre lui, est toujours visible depuis le perron de l’église. « C’était un grand professionnel, méticuleux, qui aurait tout fait pour ses patients, continue l’ecclésiastique. Quand j’ai appris son arrestation et les chefs d’accusation, j’en suis resté abasourdi, comme tout le monde. »
Assise criminelle
À en croire les éléments de l’enquête judiciaire, le docteur Tumbarello se serait plié en quatre pour son patient très particulier. À l’automne 2020, Matteo Messina Denaro se sent mal, très mal. Son ventre lui fait souffrir le martyre. On a toujours eu une santé fragile chez les Messina Denaro. Comme son père Francesco, le parrain souffre de diabète – et de strabisme, l’un des signes distinctifs inscrits sur son avis de recherche. Mais cette fois, le mafioso sent bien que c’est du sérieux. La coloscopie qu’il passe dans un cabinet privé ne laisse pas de place au doute : une tumeur intestinale de stade déjà très avancé dévore ses entrailles.
Le boss est malade : l’histoire bégaie. Son prédécesseur, le non moins sanguinaire Bernardo Provenzano, avait dû ferrailler contre un cancer de la prostate durant sa cavale à la longévité record (quarante-deux ans !). En 2003, Provenzano avait choisi de se faire opérer sous une fausse identité en France, dans une clinique privée de La Ciotat. Comme s’il prenait au pied de la lettre cette blague locale, « Le meilleur médecin de Sicile ? L’avion ! », moquant les défaillances du système de santé au sud de la Botte. Messina Denaro, lui, décide de la jouer autrement, comme il l’expliquera plus tard aux enquêteurs : « Quand j’ai découvert que j’avais cette tumeur et qu’il ne me restait plus beaucoup de temps, j’ai suivi un proverbe hébreu qui dit : “Si tu veux cacher un arbre, plante-le dans la forêt.” » Autrement dit, le parrain veut rester chez lui. Là où il est le plus en sécurité, fort de son assise criminelle, tout en se fondant dans la masse des autres patients du cru. Le mafieux sait qu’il va devoir recevoir des soins spécialisés, interagir avec de nombreux professionnels hors de sa planque. Il doit organiser rapidement un parcours médical, avec un objectif : être soigné au mieux ; et une contrainte : continuer à échapper aux forces de police les plus aguerries. Bref, il a besoin d’une fausse identité.
Pour cela, il y a son ami dévoué Andrea Bonafede, 57 ans. Un an de moins que lui à peine, presque un double. Comme les Messina Denaro, les Bonafede appartiennent à l’aristocratie mafieuse de la région. Le parrain s’est déjà servi de ce prête-nom, notamment pour acheter une maison il y a une quinzaine d’années. Ce problème réglé, Messina Denaro a besoin d’un médecin complice pour le faire naviguer incognito dans les méandres du système de santé transalpin. Le bon docteur Tumbarello « est alors le médecin traitant de Bonafede, détaille un magistrat. En fait, Messina Denaro n’a pas besoin de lui pour ses compétences médicales, mais pour recevoir les ordonnances nécessaires aux prestations du système de santé ». Par ailleurs, la police retrouvera dans la cachette du capo tout un stock de Viagra, accessible uniquement sous prescription. Le contribuable italien appréciera.
Loges maçonniques
Si Alfonso Tumbarello n’est pas un ponte de l’oncologie, il n’est pas n’importe quel médecin pour autant. Il appartient à l’une des nombreuses loges maçonniques siciliennes, notoirement noyautées par la mafia. Quand il tente de s’expliquer la dérive de son docteur, le père Don Pietro Pisciotta ne dit pas autre chose : « C’est son appartenance à la franc-maçonnerie qui a dû le pervertir et l’amener à devenir un trait d’union avec la mafia… »
Loges maçonniques ou pas, les relations de confiance entre le médecin et le clan Messina Denaro remonteraient au moins aux années 1990. Une certitude : en 2004, le généraliste a reçu dans son cabinet le frère du capo, Salvatore, lui aussi mafioso de premier plan. Ce rendez-vous est consigné dans une précédente enquête visant Antonio Vaccarino, l’ancien maire de Castelvetrano, le village du clan Messina Denaro. Vaccarino est un personnage sulfureux, ouvertement franc-maçon lui aussi et « en odeur de mafia », comme disent les Italiens. Il finira également les menottes aux poignets. C’est à sa demande que, pour cette rencontre, Alfonso Tumbarello a mis à sa disposition son cabinet – un lieu sûr à l’abri des oreilles et microphones indiscrets.
Il faut dire aussi qu’à l’époque, il a intérêt à rester dans les petits papiers de Vaccarino, un ponte de la vie locale. Le médecin a la passion de la politique. Il a déjà été conseiller provincial et vise plus haut. Il se présentera à la région puis, cinq ans plus tard, à la mairie de Campobello di Mazara – deux tentatives, deux échecs. Mais le médecin ne parlera jamais à personne de cette collusion entre le politique et le mafieux. Ni ne demandera de comptes sur ce qui s’est tramé entre les murs de son cabinet.
Hippocrate et la Pieuvre
« La confiance [des Messina Denaro] en Tumbarello était totale, écrit le procureur adjoint de Palerme, Gianluca De Leo, dans ses conclusions en janvier 2025. Le recrutement du personnel fonctionnait très bien. [Tumbarello] n’a jamais trahi. » Rien d’étonnant à ce que le mafieux, au plus mal, remette alors sa vie entre les mains de celui qui avait déjà fait preuve de si grande loyauté.
En soi, rien de bien nouveau sous le soleil italien où les mondes médicaux et mafieux s’entremêlent depuis toujours. La petite histoire des clans siciliens et calabrais fourmille de praticiens qui ont trahi le serment d’Hippocrate pour faire allégeance à la Pieuvre. Allant jusqu’à commanditer ou commettre des crimes de sang en son nom, cachés derrière la respectabilité de leur fonction. L’exemple le plus édifiant est sans doute celui de Michele Navarra, qui, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dirige à la fois l’hôpital de la ville de Corleone et… le clan des Corléonais. Entre 1944 et 1948, il ordonne plus de cinquante meurtres. Et si la justice n’a jamais pu certifier qu’il avait lui-même administré un sédatif mortel à un jeune garçon, témoin gênant d’un crime mafieux, elle ne l’a jamais exclu non plus.
Le mafieux représente un point de référence dans son territoire, tout comme le médecin.
Alberto Vannucci, professeur de sciences politiques à l’université de Pise
Plus récemment, dans les années 2000, à Palerme, Giuseppe Guttadauro, lui aussi chirurgien et directeur d’hôpital, surnommé « Il Dottore », s’avérera être un chef de clan, mouillé dans le trafic de drogue. De fait, le statut de médecin joue un rôle d’accélérateur de carrière dans ces organisations criminelles, analyse Alberto Vannucci, professeur de sciences politiques à l’université de Pise : « Le mafieux représente un point de référence dans son territoire, tout comme le médecin, notamment dans les milieux ruraux. Parfois, les deux figures se superposent. »
Dans ce contexte, les parrains n’ont pas de mal à trouver des soignants à leur botte. À commencer par le père de Matteo Messina Denaro, Francesco, une figure de Cosa Nostra connue sous le nom de « Don Ciccio » – soit « le Gros », ce qui vaudra à son fils d’être parfois appelé « U Siccu », « le Maigre ». Lui aussi avait son soignant dévoué. Un jeune docteur nommé Vincenzo Pandolfo venant de Partanna. Sa disponibilité envers le patriarche était telle que, lorsque le vieux parrain, mal en point, doit disparaître des radars en 1991, au plus fort de la lutte antimafia, le médecin n’hésite pas à entrer dans la clandestinité à ses côtés… pour les sept années qui suivront. Peut-être même l’a-t-il habillé après son dernier souffle ? Francesco Messina Denaro sera retrouvé appuyé contre le portail d’un domaine agricole, tiré à quatre épingles dans ses habits de funérailles. Vincenzo Pandolfo, lui, mourra en prison, en 2010, après s’être rendu aux autorités au terme de quinze ans de cavale, et sur autorisation expresse du fils de son patient et nouveau parrain de Cosa Nostra, Matteo Messina Denaro.
Un alibi en béton
Au-delà de leurs compétences médicales, certains médecins ne rechignent pas à mettre leur autorité morale au service du crime. Salvatore Aragona, chirurgien palermitain, n’a jamais eu de sang sur les mains. Mais, dans les années 1980, il n’hésite pas à jurer, paluche sur le cœur, qu’il a opéré un membre de la pègre pendant sa garde, fournissant ainsi un alibi en béton au tueur occupé au même moment à liquider un rival. On compte aussi des cas de psychiatres soudoyés par la mafia calabraise pour produire de fausses expertises. Pour les mafieux eux-mêmes, afin de les diagnostiquer comme fous et ainsi faire jouer l’irresponsabilité pénale afin de leur éviter la case prison, ou bien pour décrédibiliser ceux qui les accusent. Cette culture répandue du « service rendu », identifiée dès la fin du XIXe siècle, est protéiforme, explique Alberto Vannucci : « Les médecins, comme d’autres professionnels libéraux, collaborent volontiers avec les mafieux parce qu’ils tirent de cette proximité une affirmation sociale, économique ou statutaire. On peut parler d’une sorte de bourgeoisie mafieuse. »
Et puis, dans cette galaxie des « Hippocrates hypocrites », dans ce monde de collaboration aux cinquante nuances de gris, il y a donc le docteur Alfonso Tumbarello. Gratte-papier complaisant, sans envergure, mais rouage essentiel dans la cavale de Matteo Messina Denaro. À peine le diagnostic de cancer tombé, le médecin adresse en urgence le mafieux à un spécialiste, sous l’identité d’Andrea Bonafede, son alter ego de toujours. En une poignée de jours, en pleine pandémie, le boss est opéré de sa tumeur. Rebelote quelques mois après : les portes de la clinique privée La Maddalena, celle-là même devant laquelle il sera cueilli plus tard par la police, s’ouvrent sans problème pour le faux Bonafede, qui y subit une intervention vitale au foie. À Campobello, les enquêtes mettent en évidence une organisation bien huilée : une centaine d’ordonnances, pour des examens ou des médicaments, officiellement adressées à Andrea Bonafede, une personne pourtant parfaitement bien portante et connue de tous. Un homme que Tumbarello n’ausculte jamais. Une tierce personne, un « postier », vient récupérer les précieux papiers. En l’occurrence, un deuxième Andrea Bonafede, cousin et homonyme du premier.
Après la révélation de l’affaire, Giuseppe Castiglione, le maire de Campobello di Mazara, paraît contrarié devant les caméras de télé. Son administré, le bon docteur Tumbarello, « sans casier judiciaire », aurait été « contraint à subir la situation pour ne pas risquer de se faire tuer », se hasarde l’édile. À cette thèse du bras tordu, Michele Pappalardo, journaliste local rencontré dans un bar de Castelvetrano, ne croit guère. Sa propre mère avait eu affaire à l’expertise du médecin dans le cadre d’un litige à propos de sa pension d’invalidité avec la Sécurité sociale italienne. C’est que Tumbarello était aussi « consultant en questions médico-légales » pour le tribunal de Marsala… celui-là même où il est actuellement jugé. Aux yeux de Pappalardo, la collaboration mafieuse présumée de Tumbarello – le verdict n’est pas encore tombé – est autant une question de « culture » profondément enracinée en ces terres, une histoire de « prestige social », que de faillite morale. « C’est son choix », lâche le journaliste avec une lucidité rafraîchissante. Alberto Vannucci est du même avis : « Chacun a ses motivations. Mais des médecins comme Alfonso Tumbarello, Messina Denaro aurait pu en trouver autant qu’il en voulait. Le fait qu’il ait été choisi, et pas un autre, a pu devenir pour lui une source d’orgueil. »
Jugé pour association mafieuse et falsification de documents, le médecin risque dix-huit ans de prison. Le verdict en première instance est attendu pour mi-décembre. Plutôt qu’un excès de vanité, Tumbarello plaide sa trop grande naïveté pour expliquer sa présence sur le banc des accusés. Crâne chauve, petites lunettes, costume impeccable, le docteur, durant tout le procès, reste impassible. Illisible. Et s’accroche à une improbable version des faits. Messina Denaro ? Connaît pas. On l’a dupé. Lui pensait soigner son grand ami Andrea Bonafede, à qui il a distribué des ordonnances à tour de bras sans se douter qu’il s’agissait d’un malade imaginaire jouant la comédie pour un autre, vraiment souffrant. Il n’a pas compris qu’il y avait usurpation d’identité. Et c’est bien logique, vu qu’il ne l’a jamais reçu dans son cabinet, ne lui a jamais rendu visite. Il voulait seulement respecter son souhait de vivre son cancer sans alarmer sa famille, voyez-vous. C’est bien connu : un bon médecin sait faire preuve de la plus grande des discrétions. 