Le marié aux armes à feu

Écrit par Christian Caujolle
28 mai 2025
Le marié aux armes à feu
À Omdurman, la plus grande ville d’un Soudan en pleine guerre civile, le jeune photographe Mosab Abushama dresse le portrait troublant d’un de ses amis au jour de son mariage. Analyse d’une image tout juste primée au World Press Photo.
À Omdurman, la plus grande ville d’un Soudan en pleine guerre civile, le jeune photographe Mosab Abushama dresse le portrait troublant d’un de ses amis au jour de son mariage. Analyse d’une image tout juste primée au World Press Photo.

Rectangle dans le rectangle, cadre dans le cadre, un grand monochrome rouge occupe le centre de cette photographie. On pourrait se croire dans un lieu dédié à l’art contemporain présentant une œuvre. À y regarder de plus près, il s’agit d’un tapis aux subtils motifs en camaïeu. Comme c’était souvent le cas dans les studios en Afrique à partir des années 1950, il sert de fond à un portrait – un style popularisé à l’époque par le grand photographe malien Seydou Keïta.

Ici, l’équilibre parfait de la composition, qui fait subtilement dialoguer l’ocre sombre du sol avec celui, plus clair, du mur, et le carmin du tapis, contraste avec la présence des armes. Aucun mouvement n’anime la scène : le fusil appuyé contre l’étoffe et le pistolet que tient en main l’élégant en costume trois pièces beige deviennent les personnages immobiles d’un énigmatique tableau. Les yeux baissés de l’homme fixant son arme de poing lui donnent un air songeur et l’on peut imaginer mille histoires à partir de l’image.

Consécration du smartphone

Difficile pourtant de penser, alors que c’est le cas, que cette photographie a été prise pendant un mariage. Au Soudan, la tradition veut que l’on célèbre les épousailles en tirant en l’air. Mais dans le contexte d’une guerre civile qui sévit sur place depuis 2023, la présence forte des armes à feu dans l’image prend une dimension troublante.

Ce 12 janvier 2024 à Omdurman, la plus grande ville du pays, régulièrement bombardée, l’homme seul sur sa chaise est le marié photographié par un de ses amis, Mosab Abushama. Ce jeune Soudanais qui pratique la photo et le cinéma a installé le tapis au mur sur le toit-terrasse de la maison du marié pour, en plus des photos souvenirs de cette journée, réaliser les portraits des quelques invités de la fête. Il est spécialement venu de New York, où il poursuit actuellement un master en beaux-arts à la School of Visual Arts.

Ayant débuté sa carrière en documentant les bouleversements sociopolitiques de son pays, Mosab Abushama utilise l’appareil photo de son téléphone pour relayer à la fois la beauté du quotidien et les réalités brutales de la guerre et des déplacements de population, par millions. Son travail se concentre davantage sur la vie au cœur de la tragédie qu’aux événements spectaculaires. Ce moment suspendu, qui vient d’être primé au World Press Photo, en est un bon exemple – et l’une des premières photos prises avec un smartphone à être récompensée par ce prestigieux prix.

Crédit photo : Mosab Abushama