« Ces dernières années, la réduction nécessaire de l’utilisation du plastique s’est faite presque exclusivement au profit de l’industrie du papier. Mais ce papier d’où vient-il ? » Pour répondre à cette question, la photographe française Mélanie Wenger s’est associée avec la journaliste d'investigation allemande, Katharina Finke. Un projet développé avec le soutien du Journalism Fund Europe, « sans qui jamais nous n’aurions pu autant pousser nos investigations », explique-t-elle. Depuis deux ans, le duo documente cette matière première omniprésente partout dans notre vie quotidienne. Un travail toujours en cours.
Si l’industrie du bois fleurit dans le monde entier, les deux femmes ont choisi de s’intéresser « aux bons élèves, ces pays que l’on imagine volontiers champions du recyclage et qui s’érigent même en donneurs de leçons environnementales. » Au lieu de photographier les désastres écologiques de Bornéo ou de l’Amazonie, direction la Suède, l’Allemagne et le Ghana, « qui derrière les beaux discours et les accords sur la traçabilité du bois se révèlent surtout être des maîtres du greenwashing ».
Travailler de manière transfrontalière leur permet de « récupérer des informations dans des endroits différents et de les confronter : nous avons obtenu certaines informations en Allemagne qui n’étaient pas disponibles en France et inversement. La pratique de plusieurs langues est une richesse et nous permet de publier notre travail dans plusieurs pays. »
Jusqu’à présent, les deux femmes se sont rendues deux fois en Suède : la première, en mai 2023, lors de la réunion des Directeurs des Forêts et de la Nature - sous la présidence suédoise du Conseil de l'UE - , pour laquelle aucun journaliste n’a été accrédité malgré les multiples demandes. Comme les autres, elles ont été « cantonnées à l’extérieur avec le reste de la presse et plus de soixante ONG qui manifestaient leur rejet du modèle suédois. » Premières prises de contact, premières investigations et premières images de coupes à blanc.
Jouer au chat et à la souris
« Ensuite, des mois durant, nous avons fait des demandes pour pouvoir suivre le trajet du bois, depuis le moment où l’arbre est marqué puis coupé jusqu’à son acheminement sous forme de pâte à papier. » Elles contactent Sveaskog, l’entreprise d’État, et les six autres poids-lourds du secteur. « Soit on ne nous a jamais répondu, soit on nous a donné des délais de plusieurs mois. » Finalement la société finlandaise Holmen, très implantée en Suède, accepte : « Nous avons repris des billets d’avion pour septembre. Nous avions un programme balisé de visites sur trois jours. Mais alors que nous étions déjà en Suède, tout a été annulé. »
En cause ? L’interview réalisée quelque temps auparavant d’une représentante de l’association des industries forestières qui les a trouvées « peu favorables » au secteur du bois. Plusieurs demandes d’interviews ou de reportages sont ainsi acceptées puis annulées. « Ils jouaient beaucoup au chat et à la souris, ne répondaient pas franchement par la négative, mais repoussaient, demandaient des compléments d’information, laissaient passer des semaines avant de répondre. » En tout un an et demi d’une « espèce de guerre psychologique » destinée à les faire lâcher prise.
« Si nous avons pu photographier la serre où poussent les arbustes de Sveaskog, c’est parce que nous nous sommes présentées à la porte, au culot. Et que nous avons accepté de faire valider les photographies. Ils n’ont finalement retoqué aucune image, mais cela montre à quel point cette industrie est verrouillée. »