Littéralement, tout le monde au Tchad a quelque chose à dire sur les voitures volées du Soudan. Les uns prennent un air outré : « C’est “haram”, je ne comprends pas qu’on puisse faire ça. » Les autres sont las mais ne se privent pas d’en acheter ou acceptent que d’autres le fassent : dans une région où les armes et l’argent dominent, « il faut bien vivre », constate un acheteur.
J’étais bien conscient qu’il serait impossible de tirer des conclusions définitives, tant tout cela s’organise sous le manteau. Mais j’étais persuadé qu’il serait possible de raconter ce trafic en discutant autour d’un thé, d’une bière, d’une cigarette, en marge d’un match de Ligue des champions, coincés à cinq sur la banquette arrière d’un pick-up… Bref, en prenant le temps. À chaque fois, ces échanges se sont prolongés dans la nuit. J’y ai fait des découvertes – connaissiez-vous l’existence des bars à lait de chamelle ? – et je peux désormais m’auto-proclamer goûteur agréé des différents types de viande de chameau. Je me suis parfois arraché les cheveux au cours de ces interminables discussions tant cela n’avait aucun rapport avec mon reportage.
Et puis, à un moment, au détour d’une phrase, la lumière : « Tu sais, pour ton histoire de Toyota, je connais quelqu’un qui… » Ces petites phrases m’ont emmené jusqu’à un concert de funk psyché organisé par des réfugiés soudanais ; je me suis retrouvé au milieu du désert à changer la pompe à essence d’un pick-up la tête dans le sable ; j’ai suivi un moustachu plusieurs jours, persuadé de tenir le parfait personnage de ce reportage, mais il s’est finalement évaporé ; j’ai même, au bord d’une route, négocié le prix d’un Prado volé. Mais je ne l’ai pas acheté.