Chloé Kerleroux suit un fil conducteur : le cheval. Les traditions ancestrales autour de cet animal lui permettent d’approcher des communautés en marge : « Quel que soit le milieu social, le cheval est universel. Je suis passionnée des passionnés, et parmi les passionnés ceux qui ont un lien avec le cheval sont les plus authentiques. » Après avoir passé du temps avec des cowboys afro-américains en Louisiane et dans le Mississippi, la photographe entend parler des rodéos amérindiens par une amie dans l’Alberta. Elle met un premier pied dans cet univers à l’été 2022 lors du Stampede de Calgary, un des plus grands shows de rodéo du Canada. Puis, après qu’un contact lui a fait faux bond, elle traverse la frontière pour rejoindre le jeune espoir Cody Carlson dans la réserve des Blackfeet, dans le Montana. « Je ne savais pas à quoi ressemblait une réserve ni comment on y accédait, avoue-t-elle. Cody m’avait juste envoyé une localisation GPS. »
En passant par les poneys
Au moment de pénétrer sur le territoire américain, elle doute : « Les agents des douanes m’ont déconseillé d’aller à Browning, ils ont dit que c’était dangereux. » La petite ville de la nation Blackfeet souffre d’une mauvaise réputation, à cause d’un taux de criminalité élevé. Chloé Kerleroux débarque finalement dans un ranch au milieu de nulle part. Les membres de la famille Carlson sont peu loquaces et la confiance est difficile à gagner. La photographe passe d’abord du temps sur place, crée des liens avec les enfants qui s’entraînent sur les poneys avant d’être invitée à suivre l’équipe à la compétition d’indian relay de Shelby : « Ça a pris un peu de temps, résume-t-elle, ils m’ont laissée entrer dans leur univers petit à petit. »
Lorsqu’elle revient dans la réserve en février 2024, les conditions climatiques de son reportage sont éprouvantes. Elle est aussi confrontée à la réalité de Browning, de ses rez dogs – des chiens errants parfois agressifs – et de ses rues vides en hiver. « Au moment où on terminait le shooting à la nuit tombée, on a vu un homme à cheval en train de se faire courir après par des chiens errants. C’était surréel et l’ambiance était parfois lunaire », poursuit-elle. Des tempêtes de neige ont failli porter un coup d’arrêt à son projet : « J’ai été prise par un blizzard terrifiant sur la route entre le Montana et le Canada, il faisait nuit noire et il n’y avait presque aucune visibilité. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai pu prendre la photo des bisons, très difficiles à approcher en temps normal : en pleine tempête, ils ne me voyaient pas. » Toujours en contact régulier avec la famille Carlson et d’autres équipes d’indian relay dans l’Alberta, Chloé Kerleroux compte y retourner prochainement pour documenter les débuts de Donna, la petite amie de Jesse Carlson, qui se lance à son tour dans la compétition.