L’OPA de l’Arabie Saoudite sur l’esport a été lente et minutieuse. En 2019, Désiré Koussawo, aujourd’hui président de France Esports, est à l'époque directeur général de la branche française d'ESL, l’un des leaders européens de l'organisation de tournois. Il est contacté par le Public Investment Fund, le fonds souverain saoudien, pour accompagner sa stratégie dans le domaine. Pendant deux mois, le Français s’installe à Riyad et transmet aux fonctionnaires de cette institution – qui pèse aujourd’hui 700 milliards de dollars – son savoir-faire dans l’organisation de compétitions. Il est loin d’être le seul. En l’espace de quelques années, le pays a fait venir des consultants du monde entier pour préparer son abordage.
À partir de 2019, l’Arabie dévoile son jeu et ses ambitions dans le domaine. Dirigé d’une main de fer par le prince héritier Mohammed ben Salmane, lui-même fan de jeux vidéo, le pays investit des milliards de dollars dans un secteur qui peine à s’émanciper de la tutelle des éditeurs de jeux. Un obstacle que le pays contourne aisément en signant des partenariats gigantesques ou en rachetant des parts dans les plus grandes sociétés éditrices.
Le royaume revient par la fenêtre
En juillet 2020, lorsqu’un partenariat est scellé entre la ville futuriste saoudienne Neom et le LEC, le championnat européen de League of Legends, géré par l'éditeur du jeu Riot Games, une grève générale de l'équipe de production éclate. Quelques mois seulement après l’assassinat de l’opposant Jamal Khashoggi, la pilule ne passe pas. Mais chassé par la porte, le royaume revient par la fenêtre. En janvier 2022, l'entité saoudienne Savvy Gaming Group, filiale du fonds souverain, rachète ESL et Faceit, un autre acteur majeur de l'écosystème, pour 1,5 milliard de dollars.
Conservant les salariés des sociétés et leurs précieux carnets d’adresses, la « saoudisation » se fait alors plus discrète. Et efficace. Début juillet 2024, le pays lance sa Coupe du monde, le tournoi EWC. Avec 60 millions de gains à la clé – un record absolu –, les plus grands clubs de la planète mettent de côté leurs dernières hésitations. Toujours en recherche de nouveaux financements, les deux premiers clubs Français, Karmine Corp et Team Vitality, les Coréens de T1 et les Américains de Cloud9 participent aux compétitions. Ultime signe du succès de la stratégie de l'Arabie saoudite : le Comité international olympique a annoncé le 12 juillet que c'est elle qui organiserait les premiers Jeux olympiques de l'esport, en 2025.