La question n’est pas nouvelle, puisqu’elle remonte au moins à l’Antiquité de Platon qui, dans La République, s’interroge sur le telos – la finalité – de l’éducation. Transmettre aux générations futures, préparer l’avenir, réaliser des utopies… Quoi de plus universel comme enjeu que de définir un idéal éducatif. Quel est le but de l’éducation ?
À quoi doit-elle servir ? À fabriquer un homme efficace ou un citoyen vertueux ? Une tête bien faite ou une tête bien pleine ? La réponse du philosophe grec est éclairante : l’éducation sert à la fois à forger un individu ayant la connaissance profonde des vertus, le beau, le bon et le bien, mais aussi à bâtir une cité fondée sur le principe de la justice. Le macrocosme de la société et le microcosme de l’âme, analogues et harmonieux, l’un n’allant pas sans l’autre.
2 400 ans plus tard, les mêmes enjeux et les mêmes questions agitent l’agora où le principal du collège Jacques-Prévert à Marseille accueille les nouveaux élèves de sixième accompagnés de leurs parents. Ancien garde-forestier, Rodrigue Coutouly formule presque les mêmes réponses que les philosophes d’Athènes. Éduquer en 2023, c’est d’abord prendre en compte les spécificités de chaque élève : dyslexique, phobique, décrocheur… et lui proposer un cadre adapté à ses difficultés. Une démarche que l’Éducation nationale met en œuvre en y mettant les moyens par son réseau d’éducation prioritaire, les REP. Dans ce collège, 100 personnes s’occupent des 600 élèves de l’établissement.
Offrir à ses enfants un meilleur avenir : l’ambition est partagée par tous les parents du monde. À l’heure de la globalisation, le rêve s’étend aussi aux méthodes éducatives. Car l’objectif, en tout cas dans les pays qui en ont les moyens, est désormais d’assurer un épanouissement personnel aux jeunes générations. À cet égard, l’école de la forêt apparaît comme une voie innovante, au moment où nous ressentons tous le besoin impérieux de reconnexion au monde vivant. S’inspirer de la nature pour mieux appréhender le savoir sous toutes ses formes, voilà un programme qui plairait sans doute à Albert Einstein, le génie qui comparait l’état de nos connaissances à une grande clairière dont la lisière formerait l’étendue sans cesse croissante de notre ignorance. Joli paradoxe à méditer.
Les partisans de l’apprentissage libre ont sans doute beaucoup réfléchi à cette contradiction. Cette pratique, appelée unschooling aux États-Unis où elle est très en vogue, consiste à déscolariser ses enfants pour assurer leur éducation à domicile, en toute autonomie. Ses partisans sont prêts à beaucoup d’excès pour justifier leur choix et les convictions qui le sous-tendent. Une chose est sûre : ces parents n’ont plus vraiment confiance dans la capacité de l’État à assurer cette fonction essentielle qu’est l’éducation. Ils ne croient plus à l’idéal de la cité vertueuse défendue par Platon. Pas plus qu’ils n’ont d’espoir dans la collectivité qui garantirait la justice pour tous. C’est un jeu de dominos qui basculent les uns après les autres, remettant en cause le modèle démocratique.