« C’est épique », « c’est illogique », « c’est une photographie ? » Telles étaient les interrogations des visiteurs du festival Paris Photo en novembre 2023 devant cette image à la frontière du réel. Cette Tour de Babel surpeuplée semble vraisemblable, mais en se rapprochant de l’image, on découvre des visages effacés, des membres aux extrémités floues. Le trompe-l’œil a de quoi dérouter.
L’image n’est pas l’œuvre d’un photographe, mais a été générée par une intelligence artificielle (IA). Ou plutôt, Alkan Avcıoğlu a utilisé l’IA pour créer ce tableau contemporain. Mathématicien dans l’âme, ce touche-à-tout – il a été DJ et critique de films – ne se considère pas comme un artiste mais plutôt comme « un expérimentateur » ou un « outsider » : « Je souhaite créer de nouvelles images photographiques. J’aimerais pousser la photographie artificielle comme une nouvelle forme visuelle d’expression, qui défie celle de la photographie classique, de la peinture ou du cinéma. La post-photographie devient une forme d’art métaphorique et interprétative, où les images ne sont plus de simples représentations du monde, mais des reflets symboliques de thèmes sociétaux et existentiels complexes. »
« On ne peut pas arrêter la technologie »
En intégrant plusieurs mots et références artistiques (par exemple les photographes Andreas Gursky, Edward Burtynsky, le peintre Pieter Bruegel…) sur le logiciel Midjourney, Alkan Avcıoğlu a créé plus de 300 images surréalistes s’inscrivant dans son projet Overpopulated Symphonies commencé en juin 2023. Toutes offrent au regard des paysages saturés d’êtres humains. « Je fais référence à la densité physique des rassemblements humains, mais aussi, métaphoriquement, au trop-plein d’informations et d’idées qui nous bombardent au quotidien. » L’artiste visuel, qui s’exprime par le numérique depuis 1999, s’est inspiré de ses nombreux voyages dans les villes fourmillantes mais aussi de son pays natal, la Turquie : « c’est une vraie source d’inspiration, bien que je ne représente pas dans mes images des lieux réels. Par ce travail, je questionne aussi les déplacements de populations et l’immigration qui sont des enjeux d’actualité dans mon pays. »
Paris Photo est actuellement l’une des seules foires à proposer une section consacrée à l’art numérique. L’entrée de l’IA dans la photographie a ouvert le champ des possibles, mais suscite aussi des questions éthiques. Le 13 mars 2024, les eurodéputés ont adopté le premier règlement sur l’IA. Il s’agit d’une législation inédite au niveau mondial pour réguler son développement et son utilisation.
« L’IA est une véritable révolution dans la création visuelle, commente Alkan Avcıoğlu. Sans bafouer le droit des auteurs, elle devrait continuer à être accessible à tous et ne pas être limitée, on ne peut pas arrêter la technologie, les gens s’en empareront malgré tout. »