« Les émanations de fumées des infrastructures pétrolières sont si brillantes qu'elles sont visibles depuis l'espace. » Pourtant, les habitants de Musipán, une petite ville vénézuélienne d'environ 1 000 habitants située près de Punta de Mata dans le nord-est du pays, se sont habitués à cette atmosphère dantesque. Sur cette photographie récompensée par un World Press Photo en 2024, Jalismar Villaruel joue, imperturbable, à un jeu de société avec ses deux enfants et des voisins, devant chez elle.
« Cette image représente un moment unique et rare que j’ai eu la chance de photographier », témoigne Adriana Loureiro Fernandez. Après avoir étudié le journalisme à l’Université de Columbia, la photographe vénézuélienne décide de retourner dans son pays natal en 2017 pour « documenter l'effondrement économique et écologique ». En 2022, elle démarre ce projet Red Skies, Green Waters, qui dénonce la pollution de l’air et de l’eau par l’industrie pétrolière – le Venezuela est doté d’une des plus grandes réserves de pétrole mondiales.
Des zones vert fluo
À partir d’images satellites de la Nasa, la photographe a cherché les zones les plus lumineuses du pays : « Étonnamment, il ne s’agissait pas des lumières émises par la capitale, ni les grandes villes, mais par les torchères de la ville de Punta de Mata. » Le torchage est un procédé qui consiste à brûler les gaz inexploitables des gisements pétroliers, et les laisser s’échapper par de longues cheminées, les torchères. Une combustion qui émet de la lumière et envoie d’énormes quantités de méthane et de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, empoisonnant les terres et engendrant des problèmes respiratoires chez les habitants alentour. À Punta de Mata, les raffineries sont la propriété de Petróleos de Venezuela SA, la compagnie pétrolière étatique.
Sur les images satellites de l’ouest du Venezuela, autour du lac Maracaibo, Adriana Loureiro Fernández découvre également des zones « vert fluo » : « En zoomant, je comprends qu’il s’agit des eaux du lac, rendues vertes à cause de la prolifération d’algues toxiques qui se nourrissent de la pollution pétrolière. C'est une véritable catastrophe environnementale, déplore-t-elle. Les Vénézuéliens essaient de survivre dans ces conditions, des groupes écologistes initient des nettoyages du lac, mais je ne pense pas que la population ait beaucoup d’espoir de changement. »
Depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolás Maduro en 2013, le pays subit des sanctions de la part des pays étrangers, entraînant notamment une baisse de l’activité pétrolière et une pauvreté accrue. Le 17 avril dernier, les États-Unis avaient annoncé pour le 31 mai 2024 la fin de l’allègement – en vigueur depuis octobre dernier – des sanctions imposées aux secteurs pétrolier et gazier vénézuéliens. Un resserrement de vis motivé par le fait que le régime de Maduro poursuit sa politique répressive vis-à-vis de l’opposition, et menace donc, selon l’administration Biden, la tenue d’une élection présidentielle « libre et équitable » en juillet prochain.