Atlantes modernes face au déluge du monde

Écrit par Selma Bella Zarhloul
23 juillet 2025
trois hommes s’abritent derrière une digue où s’écrasent d’immenses vagues
Que faut-il faire pour qu’une simple photo parvienne à capter notre attention, parmi cet incessant déferlement d’images ? S’appuyer sur les représentations des mythes fondateurs de nos civilisations, répond le photojournaliste Asanka Brendon Ratnayake avec cette scène où hommes et cyclone tropical se confrontent. Décryptage.
Que faut-il faire pour qu’une simple photo parvienne à capter notre attention, parmi cet incessant déferlement d’images ? S’appuyer sur les représentations des mythes fondateurs de nos civilisations, répond le photojournaliste Asanka Brendon Ratnayake avec cette scène où hommes et cyclone tropical se confrontent. Décryptage.

De combien d’images de catastrophes naturelles sommes-nous abreuvés chaque semaine ? Comment pallier leur banalité et susciter au moins quelques secondes d’attention ? Asanka Brendon Ratnayake, photojournaliste basé à Melbourne, semble avoir trouvé une réponse avec cette vue du 7 mars 2025 du cyclone tropical Alfred – le premier depuis 1974 à frapper le sud-est de l’Australie, où vivent plus de 4 millions de personnes.

Le photographe utilise l’aspect spectaculaire et le transpose en un tableau mythique. Entrons dans le détail. Il shoote l’événement depuis un point de vue élevé, supposément à l’abri du danger. Nous nous trouvons ainsi dans la même position que lui, face au péril imminent. Le cadrage de biais et en plongée apporte une dynamique dramaturgique à la scène de déluge avec trois personnages auxquels s’identifier.

Pour éliminer l’humanité

Le sujet même du cyclone est ici apparenté au Déluge, l’un des mythes fondateurs de nos civilisations. Initialement conté en Mésopotamie puis repris dans la Genèse, le Déluge est l’arme létale de Dieu pour éliminer l’humanité, trop perverse à son goût. Mais Noé s’échappe et on connaît la suite… Ce thème, marquant la fin et le renouveau du cycle de la vie, sera abondamment repris par les artistes au fil du temps.

Au XVIe siècle, Michel-Ange en propose sa version dans la chapelle Sixtine, où il introduit un mouvement rare jusque-là dans la peinture. Cette œuvre suscite l’admiration de son temps et depuis lors. Chez lui, les humains occupent l’essentiel de la composition alors que, dans la photographie de Ratnayake, ils sont cantonnés à une toute petite partie – l’océan tout-puissant recouvrant la quasi-totalité de l’image.

Jusqu’à la fin des temps

Les tons bruns et les mouvements vibrionnants de l’eau donnent une dimension picturale à cette photographie. Elle se rapproche ainsi de la version du Déluge de Léonard de Vinci, contemporaine de celle de Michel-Ange, où l’eau tourbillonnante ne laisse aucun répit, rappelant l’impermanence des choses. Mais elle évoque aussi Le Déluge de Miguel Barcelo, peint en 1990, une toile aux tons sourds gris où la matière domine et d’où l’humain a disparu.

Sur le cliché d’Asanka Brendon Ratnayake, le déluge semble impossible à arrêter, et la fin imminente. Les trois personnages – dont on ignore tout – font face à Alfred. Ils sont représentés tels des atlantes, ces figures sculptées portant une charge dans l’architecture grecque, nommées d’après le titan Atlas condamné par Zeus à soutenir les cieux jusqu’à la fin des temps. Les atlantes figuraient debout ou agenouillés dans certains temples grecs. Ici leur sort est en d’autres mains. Ratnayake crée un lien d’empathie entre eux et nous, et semble poser la question : vaincrons-nous ?

Crédit photo : Asanka Ratnayake / Getty Images via AFP