Avec les repentis de Boko Haram

Photos par Bénédicte Kurzen Un récit photo de Camille Drouet Chades
En ligne le 04 mars 2024
Avec les repentis de Boko Haram
Attirés par la promesse d’une amnistie, d’anciens membres de Boko Haram, mouvement terroriste qui sévit depuis plus de quinze ans au Sahel, ont intégré le programme de déradicalisation lancé par les autorités du Niger. La photographe Bénédicte Kurzen a pénétré dans le camp où, de 2017 à 2022, des combattants de la secte sanguinaire ont tenté de se reconstruire.
Un récit photo en lien avec l’article Anatomie d’une débâcle française au Niger
Attirés par la promesse d’une amnistie, d’anciens membres de Boko Haram, mouvement terroriste qui sévit depuis plus de quinze ans au Sahel, ont intégré le programme de déradicalisation lancé par les autorités du Niger. La photographe Bénédicte Kurzen a pénétré dans le camp où, de 2017 à 2022, des combattants de la secte sanguinaire ont tenté de se reconstruire.
Un récit photo en lien avec l’article Anatomie d’une débâcle française au Niger
Ces anciens membres de Boko Haram ont entendu l’appel à la reddition lancé fin 2016 par Mohamed Bazoum, alors ministre de l’Intérieur du Niger – il sera élu président de la République en 2021. Il leur a garanti sécurité et absence de poursuites judiciaires. Depuis, les terroristes repentis vivent dans le camp de « réinsertion sociale » de la petite ville de Goudoumaria, dans le sud-est du pays. Nous sommes en 2017, quelques mois après son inauguration. Dans le pays comme à l’étranger, les responsables politiques, les diplomates et l’ONU – qui soutient financièrement l’initiative – jugent exemplaire l’expérience, présentée comme l’une des solutions à la progression des groupes djihadistes dans la région.
Pour parvenir au centre, qui surgit parmi les dunes du Sahel, il faut suivre une longue piste dans laquelle les véhicules s’ensablent. « C’était un endroit étrange, reculé. Il y faisait une chaleur insoutenable, se souvient Bénédicte Kurzen. Le mirador, les barbelés étaient-ils là pour protéger les repentis de Boko Haram ou pour les empêcher de s’enfuir ? » Les habitants de Goudoumaria ont fait part de leurs inquiétudes à la photographe : quelles exactions ces hommes avaient-ils commises ? Leur présence allait-elle provoquer des expéditions punitives de Boko Haram ?
Pour parvenir au centre, qui surgit parmi les dunes du Sahel, il faut suivre une longue piste dans laquelle les véhicules s’ensablent. « C’était un endroit étrange, reculé. Il y faisait une chaleur insoutenable, se souvient Bénédicte Kurzen. Le mirador, les barbelés étaient-ils là pour protéger les repentis de Boko Haram ou pour les empêcher de s’enfuir ? » Les habitants de Goudoumaria ont fait part de leurs inquiétudes à la photographe : quelles exactions ces hommes avaient-ils commises ? Leur présence allait-elle provoquer des expéditions punitives de Boko Haram ?
Bâtiments en dur, lits et matelas, réserves d’eau, générateur : les ex-membres de Boko Haram sont plutôt bien lotis. Le programme prévoit des actions de déradicalisation et une formation professionnelle ouvrant la voie à leur réinsertion sociale. Officiellement, ces hommes ne sont pas en détention. « Mais le camp était un trou. Ils n’avaient aucune liberté de mouvement. Ils demandaient souvent : “Quand est-ce qu’on sort ?” Ils ne savaient rien de leur avenir, leur statut légal n’était pas clair. Ils étaient désœuvrés, s’ennuyaient », relate la photographe.
Bâtiments en dur, lits et matelas, réserves d’eau, générateur : les ex-membres de Boko Haram sont plutôt bien lotis. Le programme prévoit des actions de déradicalisation et une formation professionnelle ouvrant la voie à leur réinsertion sociale. Officiellement, ces hommes ne sont pas en détention. « Mais le camp était un trou. Ils n’avaient aucune liberté de mouvement. Ils demandaient souvent : “Quand est-ce qu’on sort ?” Ils ne savaient rien de leur avenir, leur statut légal n’était pas clair. Ils étaient désœuvrés, s’ennuyaient », relate la photographe.
Malam Bukar Adam a 35 ans au moment de la photo. Il s’est rendu en 2017, après avoir passé deux ans dans les rangs de Boko Haram, en tant qu’infirmier. Dès sa première semaine dans la secte, l’ancien enseignant comprend qu’il va semer la désolation sur ses propres terres : « Je suis conscient du mal que j’ai fait. Même mes parents ont dû fuir. » Au moment de sa reddition, les déplacés autour du bassin du lac Tchad – théâtre des exactions de Boko Haram aux frontières du Nigéria, du Niger du Cameroun et du Tchad – se comptent en centaines de milliers. Depuis que le groupe djihadiste a pris les armes en 2009 pour imposer l’application de la charia, le rejet de l’occidentalisation et de l’islam modéré, les ONG comme Human Rights Watch ou Amnesty International lui attribuent la responsabilité de plusieurs milliers de morts.
Le camp est surtout peuplé d’hommes, mais il y a aussi des femmes et des enfants, qui vivent dans des espaces délimités de façon symbolique par des pans de tissus ou par des fils – comme celui auquel s’accroche cette fillette. « Elle devait avoir 5 ans et n’avait connu que la vie sous le joug de la secte, raconte Bénédicte Kurzen. Apeurées, les femmes dissimulaient leur visage. Avaient-elles honte de leurs actions au sein de Boko Haram ? Des sévices qu’elles avaient subis ? La plupart ont été enrôlées par leur mari et kidnappées. Difficile de connaître vraiment leur histoire. »
Cet homme est allongé au sol de la mosquée du camp. Boko Haram prône un islam rigoriste et très anti-occidental. Beaucoup de ses anciens membres n’adhèrent pas à son fanatisme religieux. « Ils pensaient rejoindre une rébellion contre le gouvernement et la corruption, et non devenir les acteurs d’exactions monstrueuses. Ils n’étaient pas prêts à tuer. C’est pour ça qu’ils se sont rendus : pour bénéficier de la clémence, mais aussi pour échapper aux combats, aux privations, aux moustiques du lac Tchad », analyse la photographe.
Avant de rejoindre Boko Haram, Mohamed « Lako » Kindin vendait des clés USB de musique arabe et d’afropop de Lagos sur les marchés. Il raconte qu’un jour l’armée l’a arrêté à cause de la présence sur son visage de scarifications, propres à son ethnie, les Kanouris. « Ça m’a frustré. Du coup, je me suis enrôlé. J’ai combattu, et beaucoup tué. Je ne manquais de rien. » L’ethnie kanouri est majoritaire dans les rangs de Boko Haram.
Avant de rejoindre Boko Haram, Mohamed « Lako » Kindin vendait des clés USB de musique arabe et d’afropop de Lagos sur les marchés. Il raconte qu’un jour l’armée l’a arrêté à cause de la présence sur son visage de scarifications, propres à son ethnie, les Kanouris. « Ça m’a frustré. Du coup, je me suis enrôlé. J’ai combattu, et beaucoup tué. Je ne manquais de rien. » L’ethnie kanouri est majoritaire dans les rangs de Boko Haram.
Le jeune fils de « Lako » se protège du soleil dans une des tentes du camp dédiées aux familles. Le parcours de son père a été fortement marqué par la secte :  il a été marié par Boko Haram, et a conçu ses enfants alors qu’il combattait. « J’ai senti un homme encore sous influence, enrôlé à de multiples égards. Il se pensait redevable envers la secte et ses membres. Boko Haram était à l’origine d’événements très marquants de sa vie. Son témoignage m’a fait froid dans le dos », rapporte Bénédicte Kurzen.
Le jeune fils de « Lako » se protège du soleil dans une des tentes du camp dédiées aux familles. Le parcours de son père a été fortement marqué par la secte : il a été marié par Boko Haram, et a conçu ses enfants alors qu’il combattait. « J’ai senti un homme encore sous influence, enrôlé à de multiples égards. Il se pensait redevable envers la secte et ses membres. Boko Haram était à l’origine d’événements très marquants de sa vie. Son témoignage m’a fait froid dans le dos », rapporte Bénédicte Kurzen.
Modou Kou, 27 ans, fait partie d’une ethnie originaire du lac Tchad, les Boudoumas, largement délaissés par les pays de la région. Il n’est jamais allé à l’école, mais il gagnait convenablement sa vie en vendant des chèvres. Comme d’autres Boudoumas, Modou a fini par pactiser avec les islamistes : « La zone du lac nous appartient. Sans nous, ils ne peuvent pas y vivre. » Et précise : « Je pensais que Boko Haram était le chemin le plus court pour aller au paradis. »
Modou Kou, 27 ans, fait partie d’une ethnie originaire du lac Tchad, les Boudoumas, largement délaissés par les pays de la région. Il n’est jamais allé à l’école, mais il gagnait convenablement sa vie en vendant des chèvres. Comme d’autres Boudoumas, Modou a fini par pactiser avec les islamistes : « La zone du lac nous appartient. Sans nous, ils ne peuvent pas y vivre. » Et précise : « Je pensais que Boko Haram était le chemin le plus court pour aller au paradis. »
Boko Haram a mis la main sur des villages entiers, leurs hommes, leurs femmes et leurs enfants. « Les femmes du camp étaient devenues des êtres de l’intérieur, qui ne parlent plus. Elles avaient vécu des choses terribles : dans certaines zones, les hommes disposaient d’elles et de leur corps comme ils l’entendaient. Beaucoup d’hommes s’étaient ralliés à Boko Haram parce qu’on leur avait promis la dot et le mariage. »
Boko Haram a mis la main sur des villages entiers, leurs hommes, leurs femmes et leurs enfants. « Les femmes du camp étaient devenues des êtres de l’intérieur, qui ne parlent plus. Elles avaient vécu des choses terribles : dans certaines zones, les hommes disposaient d’elles et de leur corps comme ils l’entendaient. Beaucoup d’hommes s’étaient ralliés à Boko Haram parce qu’on leur avait promis la dot et le mariage. »
Cet ancien membre de la secte est assis sur le muret de la mosquée. Durant les quelques jours qu’elle a passés dans le camp, la photographe n’a vu aucun dignitaire religieux, et n’a pas pu approcher du lieu pendant la prière. En juin 2022, lors d’une cérémonie marquant la sortie d’une quarantaine d’ex-djihadistes, un responsable local louait pourtant la « formation religieuse [des repentis] sur la pratique de l’islam modéré » et affirmait que, « pour montrer leur bonne foi et prouver qu’ils ne verseront plus dans la violence, ils ont tous prêté serment sur le Coran. » Fin 2021, l’Institute for Security Studies Africa (ISS) écrivait : « Des questions subsistent quant à la réinsertion des repentis dans leur communauté, et donc quant au futur même du programme. » Le centre a fermé en 2022, sans qu’aucune raison ne soit avancée par les autorités.