Réfugiés chinois aux frontières du rêve américain

Écrit par Christian Caujolle
14 mai 2025
Réfugiés chinois aux frontières du rêve américain
L’immigration clandestine en provenance de Chine a considérablement augmenté aux États-Unis. Avec ce cliché en clair-obscur évoquant les tableaux de Ribera ou du Caravage, le photographe John Moore dresse un portrait saisissant d’un petit groupe de migrants à la frontière mexicaine.
L’immigration clandestine en provenance de Chine a considérablement augmenté aux États-Unis. Avec ce cliché en clair-obscur évoquant les tableaux de Ribera ou du Caravage, le photographe John Moore dresse un portrait saisissant d’un petit groupe de migrants à la frontière mexicaine.

Alors que l’administration Trump offre en spectacle la déportation de centaines de migrants illégaux vénézuéliens vers la plus dure des prisons du Salvador, et prépare l’expulsion de centaines de milliers d’autres immigrés clandestins latino-américains vers leurs pays d’origine, une photographie attire l’attention sur un aspect peu connu de la migration vers les États-Unis.

Au-dessous d’une bande de ciel plombé, un groupe de personnes serrées les unes contre les autres se détache en contre-jour sur un fond de montagnes, occupant la presque totalité de cette image. Une lumière orangée nimbe la masse des personnages et fait briller les fragiles ponchos en plastique qui les protègent des intempéries. Les deux enfants se pelotonnent contre les adultes qui tentent de les réconforter. Le peu que l’on aperçoit des visages exprime une profonde tristesse, une infinie lassitude, de la peur certainement.

Autour d’un feu de déchets

La lumière, les attitudes, les formes coniques des capuches évoquent certaines peintures doloristes espagnoles avec leurs pénitents, celles de José de Ribera par exemple. Une photographie qui se nourrit de la tradition picturale du clair-obscur aux forts contrastes dont les précurseurs furent Léonard de Vinci (notamment avec son Saint Jean Baptiste, vers 1508) et le Caravage (comme dans L’incrédulité de saint Thomas, vers 1601), suivis par le Titien, Vélasquez, Rembrandt ou encore Georges de La Tour (Le nouveau-né, vers 1645). Mais, avec ses personnages presque fantomatiques, ce cliché du photographe américain John Moore devient fictionnel, irréel.

Nous sommes pourtant dans le sud de la Californie, à Campo, près de la frontière mexicaine, au début du mois de mars 2024. Ce petit groupe de migrants tente de se réchauffer autour d’un feu de fortune réalisé avec les déchets ramassés ici et là, du plastique entre autres. On connaît l’importance de la migration venue des pays d’Amérique latine vers leur grand voisin du nord. Mais ici, il s’agit d’un groupe de Chinois. Selon l’administration fédérale américaine, l’immigration clandestine en provenance de Chine a considérablement augmenté ces deux dernières années, jusqu’à devenir la troisième après celle du Mexique et celle des pays d’Amérique centrale (Belize, Costa Rica, El Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Panama).

Vers un hypothétique paradis

Le nombre d’interpellations à la frontière mexicaine de ressortissants chinois en situation irrégulière est passé d’environ 2 200 en 2022 à 38 200 en 2024. Celui à la frontière canadienne a presque doublé, passant de 6 700 à 12 400. L’afflux de migrants chinois aux États-Unis a été alimenté par l’aggravation des problèmes socio-économiques en Chine, mais aussi par les importants délais d’attente pour obtenir une carte de résident permanent (« carte verte ») pour les citoyens chinois et une surveillance accrue sur leurs visas de travail, d’études et autres longs séjours. La répression de la liberté d’expression et de religion en Chine a également contribué à l’émigration vers ce que les réseaux sociaux présentent comme un paradis.

Cette photographie vient de remporter le deuxième prix du prestigieux World Press Photo 2025. John Moore, de l’agence Getty Images, suit depuis des années les questions de migration vers les États-Unis, comme en témoigne son ouvrage de référence sur ce sujet à la frontière mexicaine, Undocumented, publié en 2018.

Crédit photo : John Moore / Getty Images