Coup de blues sur la banquise

Photo par Tiina Itkonen
Édition de mars 2024
Coup de blues sur la banquise
Article à retrouver dans la revue XXI n°64, Arnaques, crimes et vies de château
Article à retrouver dans la revue XXI n°64, Arnaques, crimes et vies de château

Dans le nord du Groenland, la zone habitée la plus septentrionale de la planète, la banquise était encore praticable en traîneau dix mois sur douze dans les années 1990. Aujourd’hui, cette période a été divisée par deux. En cause, le réchauffement climatique, qui bouleverse l’unique moyen de subsistance de nombreux habitants de la région : la chasse à chiens de traîneau.

La photographe finlandaise Tiina Itkonen mène depuis 1995 un travail documentaire inédit auprès des Inuits du Groenland. En 2018, elle a suivi Olennguaq (à gauche sur la photo), alors âgé de 48 ans. Installé depuis vingt ans dans le petit village de Savissivik, ce chasseur a vu année après année la durée de ses expéditions se réduire comme peau de chagrin, au gré de l’amincissement de la banquise. Adieu, les équipées de quatre semaines. Désormais, elles ne dépassent pas la journée. Il arrive même que l’épaisseur de la glace, qui pouvait atteindre deux mètres il y a peu encore, n’excède pas les 30 centimètres. 

Dans les pas de son père

Il devient de plus en plus difficile de se projeter dans les saisons : les Inuits ne peuvent plus prédire quand la mer va geler ni pour combien de temps. « En décembre 2023, les habitants attendaient encore la glace de mer. Ils me disaient qu’elle mettait énormément de temps à se solidifier », rapporte Tiina Itkonen. Face aux nouvelles contraintes qui pèsent sur cette activité de plus en plus dangereuse, les villages comme Savissivik se vident. Malgré tout, le fils aîné d’Olennguaq, Qaaqqutsiannguaq (âgé de 18 ans sur la photo), a choisi de rester. Et de suivre la voie de son père. Ensemble, ils traquent caribous, bœufs musqués, phoques, morses ou narvals. 

Au cours de ses nombreux séjours dans la région depuis près de trente ans, la photographe a pu constater l’évolution des conditions de vie des chasseurs. Et la mise à l’épreuve de leur sens ancestral de l’adaptation. La paléoclimatologue Jeanne Gherardi, qui analyse « les sources de résilience en Arctique », le souligne : « L’adaptation à l’incertitude fait partie de leur culture. Les chasseurs doivent s’équiper différemment. Ils achètent des bateaux car les sorties en traîneau ne sont plus possibles sur une saison entière. Ils sont aussi obligés de réduire le nombre de chiens qu’ils possèdent, car cela devient trop coûteux de nourrir des attelages pour une période d’utilisation réduite. » 

Quant à la chasse aux ours polaires, réglementée par des quotas, elle a pris une drôle de tournure. Avec une glace de mer moins étendue, ces plantigrades ont désormais tendance à longer la côte. Et à se retrouver nez à nez avec les habitants… dans les rues du village.