La nuit la plus longue

Photo par Elliott Verdier Écrit par Martina Bacigalupo
En ligne le 25 avril 2022
La nuit la plus longue

« C’est mon dernier voyage au Liberia, en octobre 2019. Au lever du jour, je marche dans les ruelles de Slipway, une banlieue de Monrovia. J’aperçois une dame qui étend son linge. Je m’arrête. Son ombre contre le drap blanc me rappelle ces fantômes dont les Libériens m’ont souvent parlé, ces esprits des morts qui hantent les vivants depuis la guerre civile. Je ne prends qu’une image. Je ne lui demande pas comment elle a vécu la guerre. Je ne note même pas son prénom. Je ne l’ai plus jamais revue.»

Au Liberia, deux guerres civiles se sont enchaînées entre 1997 et 2003 faisant plus de 250 000 morts, soit environ 8 % de la population. Depuis, le pays vit dans le silence. Ni procès, ni journée de commémoration, ni mémorial pour mettre des mots sur ce qui est arrivé et se souvenir. « Pourtant, dix-neuf ans après la fin des combats, rien n’est terminé dans la tête des gens », explique le photographe français Elliott Verdier. Dans son projet « Searching for Dawn » (En quête d’aurore), il raconte un pays où bourreaux et victimes continuent de vivre côte à côte : « Quand le soleil se couche, leurs cauchemars se réveillent… »

Attiré par les sujets dont on ne parle pas, Elliott est parti dans ce pays d’Afrique de l’Ouest qui passe sous les radars médiatiques, pour explorer les séquelles du conflit. « C’était un défi pour moi de raconter le traumatisme latent, invisible de cette guerre, raconte le photographe. D’autant que je débarquais dans ce pays pour la première fois. » Mais Elliott prend son temps, travaille lentement avec une vieille chambre et un trépied. Les gens apprécient son rythme et l’accueillent. Il produit ainsi une série qui alterne des images couleurs qui racontent le quotidien et des images en noir et blanc denses, qui évoquent le traumatisme, la nuit.

Les Libériens livrent au photographe des récits parfois décousus, des phrases courtes, inachevées, qui se répètent. « Des murmures », dit le photographe. Il faut tendre l’oreille pour les entendre. Comme Garwo, à la fois victime et bourreau, qui avoue : « Tout ça me donne envie de boire. Une fois que j’ai pris mon alcool, mes pensées peuvent disparaître pendant un certain temps. Jusqu’à ce que le jour se lève. » Comme pour la dame au drap blanc, qui, sans nom ni identité, fait entendre sa voix à travers le silence assourdissant de sa présence.