La seconde vie des esclaves brésiliens

Photo par Fernando Banzi Écrit par Martina Bacigalupo
En ligne le 18 avril 2022
La seconde vie des esclaves brésiliens

Vingt-neuf hommes, femmes et enfants noirs, photographiés à la fin des années 1860, au Brésil. On ne connaît ni leur nom ni leur âge, on ne sait rien de leur vie. Quand le photographe Fernando Banzi découvre en 2017 ces vingt-neuf petits tirages à l’albumine, en flânant dans les archives en ligne de l’Institut Moreira Salles de São Paulo, il est surpris par un détail : ces portraits sont en plan taille. À l’époque, les Noirs sont plutôt représentés en pied, selon les codes pseudo-ethnographiques en vigueur.

Pourquoi cette pose, cette dignité inhabituelle offerte à des esclaves – ou affranchis –, dans un pays qui n’abolira la servitude qu’en 1888 ? Mystère. Le photographe, un certain Alberto Henschel, est un jeune Allemand installé au Brésil, doué et ambitieux. Après avoir ouvert quatre studios photographiques en deux ans à São Paulo, Rio de Janeiro, Pernambouc (l’actuel Recife) et Salvador de Bahia, Henschel travaille au service de Pedro II, le dernier empereur du pays. Outre les membres de la famille régnante, il photographie la société, des riches commerçants à la classe moyenne en passant par les esclaves.

« Qu’un photographe européen de cette époque ait pris de la même façon un roi et un Afro-Brésilien est étonnant, insiste Fernando Banzi. À ma connaissance, ce sont les seules photos de ce genre. » À l’Institut Leibniz de géographie, à Leipzig, en Allemagne, où il retrouve les tirages, il repère, cette fois sans surprise, qu’au lieu d’avoir un nom et un prénom, voire un titre, comme les autres sujets de Henschel, les Afro-Brésiliens ont été archivés comme « type nègre », « type nègre albinos », « femme métisse », « type rustre », « esclave », « Noire de Bahia », « type cafuso » (personne d’ascendance noire et amérindienne).

Fernando Banzi décide de se réapproprier ces images. Dans un Brésil où, encore aujourd’hui, la couleur de la peau assigne l’individu à une place, il tente une autre narration. Il peint des couleurs vives sur les décors des portraits et, en transformant les habits à l’aide de collages numériques, donne un nouveau sens aux visages de Henschel. Entre ses mains, le « rustre » devient un homme au chapeau, l’« esclave nègre », un gamin pensif et la « femme métisse », une dame chic.

« Ils récupèrent leur droit à la subjectivité », résume Stephanie Ribeiro, écrivaine féministe noire, militante du Movimento negro. Se renommer, se redéfinir, s’habiller avec de nouvelles couleurs, c’est devenir humain. En colorant ce passé présent, Fernando Banzi donne, même pour nous, la nouvelle génération, « la chance de créer des ponts et des racines avec l’identité qui nous a été enlevée ».