L’enfant papillon

Photo par Mika Sperling Écrit par Martina Bacigalupo
En ligne le 18 juillet 2022
L’enfant papillon

Tout commence quand la photographe Mika Sperling voit sa fille assise sur les genoux de son beau-père, en 2019. C’est un moment ordinaire entre un grand-père et sa petite-fille, mais la photographe allemande se crispe. Cette image innocente lui renvoie d’un coup celle de son enfance, à côté de son grand-père : une image « empoisonnée ». Avec ça, surgit une profonde et ancienne douleur.

« Mon papa est décédé quand j’étais petite, donc mon grand-père a pris une place importante dans ma vie, raconte Mika. Il m’a appris à jouer aux échecs, et on passait beaucoup de temps ensemble. » C’est là que l’abus commence, il va durer des années. Au début, Mika n’en parle à personne. « Je voulais le dire à ma mère, mais j’avais peur qu’elle ne me croie pas, raconte l’Allemande. Moi non plus, je n’y croyais pas, j’aimais mon grand-père. J’étais partagée entre amour et haine. »

Vers ses 11 ans, elle se sent mal à l’aise près de lui, et commence à refuse de l’approcher. Lui, photographe amateur, continue à prendre des photos d’elle et à lui offrir des tirages. « Je n’ai jamais mis ses photos dans mes albums de famille, avoue Mika. Je les gardais dans une boite à côté. »

La photographe ressort ces clichés en 2020. Elle commence à en faire des collages, en découpant la silhouette de son grand-père comme dans cette image. « J’ai utilisé sept couleurs dans ce travail, car nous étions sept filles à être abusées par lui, précise-t-elle. Ma couleur, c’est le violet. » D’autres images sont carrément retournées, pour ne pas dévoiler l’identité des autres filles. En dessous de ces rectangles blancs, des descriptions minutieuses nous laissent imaginer les scènes de ces photos de groupe.

Puis, Mika retourne sur le chemin reliant la maison de l’enfance et l’habitation du coupable, aujourd’hui décédé. Plusieurs fois, elle tente d’appuyer sur la sonnette de la porte pour demander aux nouveaux occupants de voir l’intérieur, mais elle n’y arrive pas. « C’est en approchant mon doigt de la sonnette qu’un souvenir que j’avais oublié est remonté à la surface, se remémore-t-elle. Quand je touchais le bouton, j’espérais toujours que ma grand-mère soit là aussi, pour ne pas le trouver seul. »

Dans une des dernières promenades, Mika amène avec elle Robin, sa fille de 3 ans. Elle photographie les espaces, puis sa petite main. Cette photo s’intitule « Avec toi, à 55 mètres ». Ce sera la dernière photo de cette tentative à la fois fragile et courageuse de se réconcilier avec son passé.