Pour la plupart importés à des fins ornementales, les palmiers de Floride sont omniprésents sur les cartes postales du « Sunshine State » dès la fin du XIXe siècle. Au fil du temps, ces arbres sont devenus des icônes incontournables de l’État ; ils symbolisent la détente et les vacances idylliques, au cœur de l’imaginaire et du marketing touristiques. Prise en 2017 dans le cadre de sa série FloodZone, cette photographie d’Anastasia Samoylova reprend ce motif avec des cabbage palms, seuls palmiers natifs de Floride. Le rose du trottoir – qui donne son titre à la photo (Pink Sidewalk, « trottoir rose ») – semble également renvoyer au mode de vie insouciant tant vanté.
Mais il y a un souci : ici, les palmiers, affaissés, ne sont plus soutenus que par les façades des immeubles. L’imagerie paradisiaque se heurte à une réalité troublée : l’élévation du niveau de la mer, les ouragans de plus en plus fréquents et intenses, et les inondations de plus en plus graves. Le projet FloodZone s’appuie sur ce constat alarmant. Cette image, par exemple, capture les séquelles à Miami Beach de l’ouragan Irma en septembre 2017, qui a laissé dans son sillage 136 morts et près de 70 milliards de dollars de dégâts.
Face à ce travail, impossible de ne pas avoir en tête l’œuvre de Walker Evans, figure pionnière de la photographie documentaire américaine. En 1941, Evans reçoit une commande de l’écrivain Karl Bickel pour réaliser un voyage en Floride. Son expédition donne lieu à une série de photographies explorant de façon détaillée l’histoire naturelle et culturelle de la région, grâce à une immersion dans ses écosystèmes uniques. En 2020, le Getty Museum, à Los Angeles, réédite ces photographies peu connues dans un ouvrage sobrement intitulé Florida. Et dont la photo de couverture donne à voir une caravane entourée de palmiers.
Ce motif, synonyme de tourisme et d’aventure chez Evans, incarne chez Samoylova notre société immobile face aux mutations climatiques. Omniprésents dans le travail des deux photographes, les palmiers situent géographiquement les images, mais ils proposent aussi un contrepoint à une réalité socio-économique plus complexe et moins fantasmée.
Vagues de chaleur et submersion
Née en 1984 dans le sud rural de la Russie, Anastasia Samoylova s’est adaptée (comme les palmiers !) à sa nouvelle vie américaine, dans les années 2000. En 2016, elle s’installe à Miami et l’année suivante devient citoyenne naturalisée des États-Unis. À la fois étrangère et membre de la communauté de Miami, la photographe offre une perspective unique pour observer et mettre en lumière les aspects les plus déstabilisants et absurdes de son environnement américain.
Des images d’Evans à celles de Samoylova, les paysages photographiques témoignent d’une évolution, d’un paysage tropical luxuriant à un environnement menacé, entre vagues de chaleur incessantes et submersion des mangroves. Autant de phénomènes mettant en péril les populations, les biens et les écosystèmes.
Aux premières loges de ces dérèglements, la Floride est aussi l’un des fameux swing states (États pivots) lors des élections présidentielles, incarnant une Amérique coupée en deux. Le nord de l’État, rural et conservateur, s’oppose culturellement et politiquement aux grandes métropoles du Sud (Miami, Orlando), plus libérales. Néanmoins, en novembre 2024, un nombre toujours croissant d’électeurs de Floride – 56% – ont choisi comme nouveau président Donald Trump. Qui incarne le déni face aux changements climatiques et réside lui-même… en Floride.