Les visages du pouvoir

Écrit par Selma Bella Zarhloul
9 juillet 2025
visages superposés des présidents de la République française
Les photographes allemands Patrik Budenz et Birte Zellentin ont superposé les portraits d’un siècle de dirigeants, dans 199 pays différents. Que reste-t-il du passage du temps ?
Les photographes allemands Patrik Budenz et Birte Zellentin ont superposé les portraits d’un siècle de dirigeants, dans 199 pays différents. Que reste-t-il du passage du temps ?

S’il est un exercice auquel le pouvoir s’est abondamment adonné, c’est bien la photographie. Véhicule idéal et maîtrisé d’une vision, d’un corps, d’une autorité, d’un État et, avant cela, d’un homme – le plus souvent. En 2021 en Allemagne, le départ d’une femme au pouvoir depuis seize ans, Angela Merkel, crée un changement de paradigme alors même que la stabilité politique semblait acquise. Patrik Budenz et Birte Zellentin, photographes allemands à l’approche documentaire, s’interrogent alors sur la question de la représentation des gouvernants dans leur pays et au-delà. La série Macht (« pouvoir » en allemand) est leur réponse à la question suivante : le pouvoir a-t-il un visage ?

Ce projet recense les portraits de gouvernants de 1921 à 2021, avec un procédé rigoureusement identique pour chacun des 199 pays sélectionnés : superposer les photos de visages en faisant varier leur intensité et leur visibilité selon la durée des mandats. Le tout dans un cadrage serré, qui se réfère à la photographie anthropométrique inventée en 1882 par Alphonse Bertillon, l’un des fondateurs de la police scientifique.

Portrait-robot au regard fixe

Arrêtons-nous un instant sur cette image « France », où se superposent les présidents successifs d’un siècle et de trois républiques. Si le pouvoir français avait une figure, serait-ce celle-ci ? La somme des visages se détache de la réalité du sujet photographié. Le portrait est éminemment un art noble, directement hérité de la peinture, que la photographie a détrônée. Au XIXe siècle, il fallait être au plus près du modèle, être réaliste. Macht semble faire le pari inverse, propose une autre vision : plus que des personnes en particulier, nous voyons un portrait-robot flou dont seul le regard net fixe l’objectif.

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D’un côté, la photographie est bien une trace du réel. De l’autre, elle n’en est qu’un simulacre, un artefact, et de ce fait elle échappe au réel. La fonction de dirigeant procède du même principe : il y a nécessité à faire partie du réel, d’un peuple, d’une nation, et de s’occuper des affaires courantes. Mais il faut aussi faire un pas de côté, prendre de la hauteur, montrer que l’on est l’Élu, sublimer ce réel à travers une vision, en un temps donné.

La série Macht va à l’encontre de l’évidence qu’elle est supposée illustrer : des visages du pouvoir, il n’en existe pas un seul. Que reste-t-il d’un siècle de pouvoir ? « Le temps qui passe, c’est la vérité qui s’enfuit », disait Edmond Locard, autre pionnier de la police scientifique. Rien n’est moins vrai.

Crédit photo : Patrik Budenz et Birte Zellentin