XXI : Combien cela coûte-t-il d’entretenir un château ?
Ce qu’on a les moyens d’y mettre. Il s’agit d’un investissement aussi bien humain que financier. Chez nous, chaque membre de la famille doit consacrer entre 180 et 200 heures par an au domaine, selon une charte que nous avons établie. Et évidemment, le coût de l’entretien peut être un gouffre. Nous n’avons pas de grande fortune familiale, mais quand bien même il y en aurait une, elle peut être engloutie en une génération.
Quels sont les postes les plus coûteux ?
Le plus coûteux, c’est le bâti. Au château de Canon, nous avons vingt kilomètres de murs et un hectare de toit. Quand il a fallu refaire la toiture, nous avons dû débourser 600 000 euros. Il est clair que cette génération ne pourra pas la rénover une seconde fois. C’est pourquoi les propriétaires de tels biens ont intérêt à mettre en place des activités, à faire émerger des modèles économiques qui leur permettent d’entretenir leur monument.
En ce qui nous concerne, nous avons organisé des visites – 27 000 en moyenne par an –, des ouvertures pour les scolaires, des locations de salles pour des mariages, des réceptions ou d’autres événements privés. Nous avons également obtenu le label « Jardin remarquable », ce qui nous permet de nous différencier. Ce tourisme de jardin n’est pas très répandu en France, à la différence de ce qui se passe au Royaume-Uni. Dans cette optique, nous avons récemment créé la « roseraie contemporaine », qui fait venir des visiteurs. Tout l’argent qui entre est affecté à la préservation du patrimoine. Mais il faut avoir du souffle pour réinvestir dans l’activité, se développer et proposer de nouvelles scénographies.
Que représentent les aides de l’État ?
Jusqu’à présent, concernant les travaux d’investissements pour des biens classés, les propriétaires avaient droit à 40 % d’aides de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac). Dans notre cas, nous bénéficions en plus de la politique patrimoniale remarquable du département du Calvados, qui nous verse 20 % d’aides supplémentaires. Mais cette année, les aides ont diminué. Ainsi, nous ne recevons plus que 30 % d’aides de la Drac. L’État préfère se concentrer sur des biens nationaux, comme les cathédrales : c’est très bien, mais forcément il y a moins de projets d’aide en faveur du patrimoine privé.
Les propriétaires doivent organiser des campagnes de financement participatif, concourir à des prix.
Parmi les chantiers à réaliser, nous devons repeindre et restaurer les menuiseries des fenêtres ainsi que les persiennes du château. Cela avait déjà été fait en 2006, mais la peinture s’écaille, les menuiseries s’abîment et plus on attend, plus le coût – qui est déjà de 176 000 euros – va être élevé. Il est même possible qu’à un moment on ne puisse plus effectuer ces travaux tant ils seront onéreux. Pour pallier la diminution des aides, les propriétaires doivent se démener, organiser des campagnes de financement participatif, concourir à des prix pour recueillir de l’argent de mécènes. Notre modèle ne nous permet pas encore de générer suffisamment de cash pour réaliser des grosses tranches de travaux. À moins de s’endetter en ayant recours à un emprunt.
C’est dans ce genre de situation délicate que certains propriétaires peuvent se faire avoir par des acheteurs peu scrupuleux…
Les propriétaires de château déploient toute leur énergie pour les sauver. Mais nul n’est infaillible : le problème peut venir du manque d’argent, d’une famille qui ne s’entend pas ou d’un héritier qui n’a pas envie de s’en occuper. Ceux qui rachètent sont parfois mieux armés que ceux qui héritent : ils ont eu le temps de mûrir leur projet, de faire un business plan. Dans tous les cas ces biens sont des gouffres, et certains propriétaires sont obligés de vendre leur monument, ce qui constitue un déchirement pour eux. On imagine l’énergie dépensée.
Certaines ventes se passent très bien, comme dans le cas du château de Goulaine, un bien près de Nantes qui appartenait à la même famille depuis un millénaire. Les propriétaires ont sélectionné leur acheteur [un industriel parisien, le PDG du groupe Nactis, NDLR] en fonction du projet de celui-ci, soucieux que le château reste ouvert au public. Mais le bien aurait aussi pu tomber dans les mains d’acheteurs peu scrupuleux qui l’auraient dénaturé.