À Marseille, tout le monde se connaît. Pour ce portrait de Jul, j’ai donc appelé des amis du lycée, je suis allé voir mon coiffeur, et même mon ophtalmo parce que « au cabinet, on a [le rappeur] SCH ». Chacun avait son anecdote sur Jul, un truc lié au foot (« il a joué au Burel FC quand il était jeune, je crois… »), à son père (« il est bon délire, Toussaint ! Un vrai Corse ! On prend l’apéro ensemble… »), ou bien à sa mère (« elle travaillait à la mairie, à l’accueil je crois… »). Mais on était toujours dans un à-peu-près qui ne menait à rien de concret.
Bien sûr, j’avais la voix de Djel, DJ du groupe légendaire la Fonky Family, ou celle du patron de Recording Studio, là où Jul va encore enregistrer certains de ses projets. Ça m’a donné des clés pour comprendre le style Jul et le tournant musical qu’il a fait prendre au rap français. Mais il me manquait de l’intime, du proche, du fragile.
Au mariage du cousin
J’ai donc appelé Hafid, un ami avec qui j’avais clippé Jul en 2015. Pendant des années, avec Hafid, on a formé un duo cameraman-photographe dans l’univers du mariage oriental marseillais. Il a été le manager de l’Algérino, un autre rappeur de la ville, et connaît bien Soso Maness qui a signé la punchline « Zumba café, café carnaval, j’suis dans le 4×4 teinté, pisté par la banale » sur le titre collectif de Jul Bande Organisée. Hafid connaît du monde. Il faut dire que la frontière entre le mariage oriental et le monde du rap est très poreuse.
Quand je le contacte, il vient justement de « faire » le mariage du cousin de Jul et m’envoie une vidéo du rappeur en train de chanter au milieu des invités. Dans ce film, capté au téléphone portable, Jul n’est plus « l’Ovni », comme l’appellent ses fans, mais Julien Mari, un jeune Marseillais d’origine corse qui vient chanter pour le mariage mixte de son cousin.
Je suis touché par cette ambiance que j’ai bien connue quand je travaillais encore avec Hafid. Comme si l’âme de Marseille, autrefois dans le centre-ville, avait été déplacée loin des touristes et des nouveaux arrivants qui sirotent leur café de spécialité en terrasse. Après m’avoir envoyé cette vidéo, Hafid m’invite à passer dans un vieux bar du quartier du Merlan, pour rencontrer un des premiers managers de Jul. « Tu verras, c’est lui qui l’a lancé. » J’avais enfin du concret, le début d’une histoire.
