C’est en réalisant « la pire commande de [sa] vie » pour un magazine institutionnel que Jan Banning a eu l’idée de la série Bureaucrats. Envoyé au Mozambique pour un reportage sur la décentralisation de l’administration, le Néerlandais se retrouve à photographier des fonctionnaires dans leurs bureaux. Il finit par s’enticher de « ces lieux où pouvoir politique et citoyens se rencontrent », et entame son drôle de tour du monde.
De 2002 à 2007, il visite des centaines d’administrations sur cinq continents, navigue entre les services et remonte les échelles hiérarchiques. Son idée : montrer les bureaux, tels que les usagers les voient quand ils viennent renouveler un papier ou payer une amende. « Pas pour prendre des photos exotiques, mais pour nourrir le débat public. » Régime autoritaire, démocratie balbutiante, superpuissance hégémonique ou en devenir, ex-dictature déchue… il choisit les destinations sur des critères politiques, historiques et culturels, « pour que chacune représente un concept politique ». À l’origine, il en avait sélectionné dix, « mais Cuba et le Vatican n’ont jamais répondu ».
Inspiré par Mondrian
Le projet en lui-même a été un processus bureaucratique, un grand voyage dans des administrations labyrinthiques. « J’ai envoyé des milliers d’e-mails, passé des centaines de coups de fil, souvent juste pour identifier la personne qui avait le pouvoir de signer une autorisation », se souvient le photographe.
« Une fois sur place, l’objectif a été de prendre des photos aussi chiantes que la bureaucratie elle-même. » Le Néerlandais opte pour un format carré et une composition peu créative, « des employés placés au centre du cadre et pris de manière frontale. L’exact inverse de ce qu’on apprend en première année de photo. » Pour traduire visuellement « ce système très strict de normes et de règlements », Jan Banning s’est aussi inspiré des tableaux géométriques du peintre néerlandais Piet Mondrian en agençant les éléments à sa disposition : la ligne d’une table, le rectangle d’une porte, d’un portrait officiel ou d’un drapeau. De cette approche systématique émergent des détails – souvent drôles, parfois absurdes – « qui révèlent la façon dont l’État affiche sa puissance ». Ou pas.