Quand Time Magazine envoie Michael Christopher Brown en 2012 en République démocratique du Congo pour réaliser un reportage sur les mines qui alimentent l’industrie du numérique, le choix de photographier à l’iPhone s’est imposé naturellement. L’idée est presque ironique, mais terriblement efficace : « J’étais quasiment invisible, se remémore le reporter américain. Personne ne me voyait comme un photographe, ou comme une menace. Je pouvais tenir le téléphone facilement et choisir des angles compliqués sans que personne ne s’en aperçoive. »
À son arrivée, sa connaissance de la situation du pays est « très limitée ». Saisi par les paysages grandioses et la culture de la région est, le photographe y retourne très régulièrement les trois années qui suivent. Sur place, les amitiés qu’il noue – notamment avec le journaliste congolais Horeb Bulambo Shindano – lui permettent de mieux saisir la complexité des événements dont il est témoin, et d’avoir un accès privilégié à certains acteurs.
Brown « shoote », avec son pouce, les creuseurs, les FARDC, les miliciens, les réfugiés, sans se préoccuper des contraintes de lumière ou de focale : « Même si on connaît son appareil, on se bat toujours avec lui. C’est un obstacle entre son cœur et son cerveau, entre ce que l’on voit et ce que l’on photographie. Le téléphone me permettait de me concentrer sur l’expérience de la scène la plus pure possible. » Et de partager les images au monde entier en quelques secondes.
La révolution libyenne à 5 mégapixels
À cette époque, Michael Christopher Brown a déjà expérimenté cette façon de travailler à l’iPhone. Il en a même été un des pionniers. L’idée lui est presque tombée dessus, au cours d’un reportage en Libye, en février 2011, en plein mouvement des printemps arabes. Le photographe, alors âgé de 33 ans, casse son appareil reflex qui lui glisse des mains au milieu d’une manifestation. Les six mois suivants, il couvre la révolution libyenne grâce au capteur 5 mégapixels de son smartphone. « On ne pensait pas que des professionnels pouvaient faire de bonnes images avec, s’amuse Brown auprès de XXI. J’utilisais d’ailleurs beaucoup l’application Hipstamatic, pour améliorer le rendu. » Aujourd’hui, les meilleurs smartphones sur le marché prennent des photos dix fois plus performantes.
Malgré ces contraintes techniques, le résultat est une surprenante synthèse entre un reportage et un carnet de voyage. Les couleurs, rendues explosives par l’ajout de ces filtres, s’inscrivent dans l’air de l’époque. L’application Instagram, qui vit alors ses premiers mois d’existence, inonde le Web de photographies au format carré passées au tamis d’effets visuels leur donnant une teinte rétro.
Michael Christopher Brown retourne épisodiquement en RDC depuis 2015. Lors de ses derniers voyages, il a repris son vieux reflex. Faire de la photographie avec son téléphone n’a plus la même portée aujourd’hui. Mais l’expérimentation continue d’être au cœur de son travail. L’un de ses derniers projets en date, 90 Miles, est un « reportage » sur Cuba, entièrement réalisé avec une intelligence artificielle.