François Ruffin est un personnage complexe : il aime faire parler de lui mais a du mal à parler de lui-même. « Je ne suis pas un sujet », m’a-t-il répété à plusieurs reprises. La pièce est tombée du bon côté presque par hasard. C’était un soir d’hiver, en 2020. Nous étions tous les deux dans sa permanence parlementaire d’Amiens. Je tournais autour du pot. Il le sentait.
« Je ne veux pas parler de mon enfance. Je veux la garder pour moi. Ou plutôt, je veux que ça soit moi qui la raconte un jour. Ce sera mon petit bonheur d’écrivain.
— Tu peux au moins me dire comment tu étais à l’école ?
— Pas terrible. Je ne veux pas détailler ce qui constitue mon métabolisme politique et social. Je peux te raconter une anecdote, en revanche. »
Il ne s’arrêtera plus. Il parlera sans filtre tout au long de nos entretiens. François Ruffin est un conteur-né. Il sait alimenter la chronique, la défrayer, valoriser les détails, en extraire le croustillant. Depuis ce jour-là, je le surveille. J’ai quitté le service politique du journal Libération pour le service société, mais je continue de scruter son évolution. La confiance gagnée me permet de parler à ses amis proches. J’en ai contacté quelques-uns pour ce portrait dans XXI. Je lui ai réécrit aussi. Qu’est-ce qu’il pouvait me dire de nouveau ? J’ai eu de la chance : la rédaction de ce papier est tombée en plein feuilleton judiciaire face à Bernard Arnault. Je me suis installé sur les bancs du tribunal correctionnel de Paris.
Je l’ai observé. Je l’ai écouté. J’ai noté. Tout était là, sous mes yeux, pour écrire la suite de mon histoire avec lui.