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« Soudain, mes pieds n’ont plus touché le sol »

Écrit par Camille Drouet Chades
Dans les coulisses du récit Au cœur de La Mecque, entre ferveur et luxe

« C’est La Mecque, ça ?! Impossible. » Luca Locatelli se souvient très bien du jour où est née sa fascination pour la ville sainte des musulmans. Il est en Italie et sa femme lui montre sur l’écran de son téléphone des photos d’un couple d’amis indonésiens en voyage à La Mecque. « On les voyait devant des gratte-ciels, des magasins de luxe, chez un concessionnaire Ferrari, en train de manger au Burger King. Je me suis rendu compte que je n’avais aucune idée de ce qu’était La Mecque. » Au fil des recherches, il découvre que la deuxième ville d’Arabie saoudite est une destination touristique (et religieuse) extrêmement prisée. L’Italien contacte alors le New York Times, mais le quotidien américain se montre frileux. Il faudra attendre deux ans, un changement de direction et le lancement de la campagne présidentielle de Donald Trump, en 2015, pour que le sujet revienne sur le tapis.

Pendant les sept mois qui suivent, le photographe montre patte blanche, explique sa démarche aux autorités saoudiennes pour obtenir les autorisations nécessaires. « Quelques mois plus tôt, en septembre 2015, la chute d’une grue sur la mosquée Al-Haram avait tué 111 personnes. Les médias ne parlaient que de ça et les autorités étaient donc réticentes. Puis elles ont changé d’avis, désireuses de montrer ce dont le royaume était capable. » Luca Locatelli trouve un fixeur et s’envole pour La Mecque. La ville sainte est interdite aux non-musulmans mais le photojournaliste, « né dans une famille très catholique, et pas franchement religieux », s’est converti à l’islam pour épouser Irma, journaliste indonésienne, rencontrée à Djakarta en 2010. 

« Une énergie incroyable »

« J’ai eu la sensation d’arriver dans un endroit où tout le monde plane. Il flottait une odeur de rose. Les pèlerins étaient dans un état de plénitude… tout en faisant les mêmes choses que n’importe quel touriste, comme manger des glaces. Ils discutaient beaucoup. Entre eux et avec moi. Mon appareil ne les dérangeait pas. » Durant vingt jours, Luca Locatelli a « accès à tout ». Il effectue la circumambulation autour de la Kaaba et a même « la chance de toucher sa pierre noire » vers laquelle prient les musulmans du monde entier. « Des dizaines de milliers de personnes effectuant le petit pèlerinage de l’oumra tournaient simultanément, s’approchant à chaque tour un peu plus de la Kaaba. Soudain, mes pieds n’ont plus touché le sol, j’ai été pris dans ce vortex de fidèles en train de prier. C’est une expérience indescriptible. J’étais là pour documenter, dans une optique neutre, mais j’ai ressenti une énergie incroyable. »

Durant ces sept rotations et tout le reste de son séjour, le photographe est équipé d’un prototype de caméra, prêté par GoPro. Il a ainsi pu réaliser pour le New York Times « l’un des tout premiers documentaires en réalité virtuelle. Cela a peut-être permis à des musulmans ne pouvant pas faire le voyage de se retrouver virtuellement à La Mecque. J’y ai embarqué beaucoup de gens, dont ma mère, s’amuse-t-il. L’idée était aussi d’y faire entrer le pape François, afin de créer un dialogue entre les religions. Elle n’a malheureusement jamais abouti, malgré un dialogue très constructif avec le Vatican. »

Son reportage a été publié quelques semaines avant l’élection de Donald Trump. « C’était important au cœur de cette campagne populiste et outrancière sur l’islam. Lui et ses partisans ne savaient pas – et ne savent toujours pas – de quoi ils parlent. Comme Salvini en Italie ou Le Pen en France. J’espère avoir montré le monde musulman, loin des représentations erronées qui ne sont véhiculées que pour attiser la haine et générer des divisions, souligne le photographe qui souhaite retourner un jour à La Mecque. Il y a beaucoup de choses que j’aimerais faire dans ma vie professionnelle, mais tout en haut de ma liste il y a ceci : monter dans le seul hélicoptère autorisé à survoler La Mecque pendant le hadj. J’espère pouvoir un jour photographier ces gens vêtus de blanc à perte de vue. Inch Allah. »

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