Ce numéro d’automne plonge dans le chaudron européen. Plus de soixante ans après la création de la première formation communautaire, nous avons perdu foi en l’union. Quelles que soient nos convictions politiques, ou notre athéisme en la matière, nous sommes déçus. La course vers le libéralisme nous a divisés. La paix n’est plus suffisante, il nous faut davantage. La mise à mort est tentante. Nos journaux et nos réseaux sociaux sont saturés d’informations contradictoires, qui soulignent parfois dans la même phrase la surpuissance délétère et la totale inertie d’une Union européenne à la dérive. Dans ce théâtre de l’absurde, on ne sait plus qui joue le jeu de qui. Les journalistes de XXI cultivent une démarche à l’opposé. En racontant à hauteur d’hommes, ils ne jugent pas. « Show, don’t tell », disent les Américains. « Montre, n’affirme pas. » Si vous donnez à voir, de manière humble et juste, le lecteur bâtira sa propre vision du monde, sincère et documentée.
Le feuilleton britannique du Brexit occupe une grande partie de notre espace médiatique. À l’origine de ce vaudeville moderne, un peuple miné par la défiance envers les institutions, le sentiment d’être écrasé par les normes, la peur des étrangers. Sous nos yeux se joue l’effondrement rocambolesque d’une union. XXI décale le regard. En Grèce, berceau de la citoyenneté, nous avons retrouvé un homme, Andréas Georgiou, dont la vie raconte le tiraillement européen, entre technocratie et populisme. Ex-fonctionnaire du FMI, il s’occupait de statistiques à Athènes. Du jour au lendemain, on en a fait l’ennemi public n° 1, le responsable des faillites, des privatisations, des hôpitaux bondés, des factures de chauffage impayées. Les peuples en colère ont besoin de bouc émissaires.
Plus au sud, en Méditerranée, l’Union joue avec les migrants comme avec des chiffons de papier. Chaque jour, la frontière se fait plus infranchissable. XXI va plus loin. Nous affirmons : l’Europe collabore. Elle finance de manière indirecte des milices en Libye qui tiennent des camps de migrants où la torture est la règle. Les hommes s’arrachent à l’enfer, traversent la mer, et le serpent se mord la queue, voilà l’Europe qui s’écharpe pour les accueillir. Un Soudanais, Al-Nour, a décidé de mettre les États devant leurs responsabilités. Lui ne voulait pas rejoindre l’Italie, demander l’asile à Paris. Il cherchait à fuir le Darfour. Mais d’étape en étape, victime d’une politique migratoire absurde et inhumaine, il a été forcé d’avancer vers le nord. Al-Nour, migrant malgré lui, porte plainte contre l’Union européenne pour crimes contre l’humanité.