Il y a plusieurs France en France. Des France qui s’ignorent, qui ne se parlent pas, qui n’occupent pas les mêmes territoires. Les ghettos ne se limitent pas aux quartiers qualifiés de « sensibles » ou aux « zones » dites « de non-droit ». C’est tout le pays qui se fragmente : les grandes métropoles n’ont presque plus d’ouvriers, les classes moyennes sont chassées des centres-villes par la flambée de l'immobilier, les plus riches se concentrent dans quatre arrondissements de l’ouest de la capitale et quelques communes limitrophes. Partout se constituent des enclaves homogènes.
C’est le triomphe de l’entre-soi. Chacun cherche à cohabiter avec ses semblables et à fuir ceux qui se situent immédiatement en dessous dans la hiérarchie sociale ou ne partagent pas le même mode de vie. L’école, sous l’effet de la carte scolaire qui encourage les parents à emménager près des « bons » établissements, renforce un peu plus la ségrégation.
La carte politique reflète cette coupure de l’Hexagone en deux, voire en trois ou en quatre. La dernière présidentielle dessine deux lignes de fracture. Marine Le Pen confirme son ancrage dans les bassins industriels du Nord et de l’Est, frappés par le chômage, ainsi que le long du pourtour méditerranéen. À l’intérieur de chaque région, elle réalise ses meilleurs scores dans de petites communes, tandis qu’Emmanuel Macron domine à l’Ouest et remporte plus de 80 % des suffrages dans la plupart des grands centres urbains, comme Paris, Lyon, Strasbourg ou Nantes.
Partout, des frontières numériques, sociales, ethniques, religieuses ou culturelles s’érigent. Des fêtes présentées comme traditionnelles sont ressuscitées ou inventées. Les particularismes s’exacerbent. Afin de mieux créer des liens, les différences s’affirment. Elles révèlent un besoin de collectif, un désir de vivre ensemble, et aussi une volonté d’exclusion. Aller vers le même s’accompagne souvent d’une défiance envers les autres.