Quand, en 1513, Machiavel adresse Le Prince à Laurent II de Médicis, le maître florentin « ose, écrit-il dans sa dédicace, donner des règles à ceux qui gouvernent ». Le voilà, le rêve qui va fasciner la presse : donner des conseils au Prince, entrer dans l’intimité de l’exercice du pouvoir, se faire Prince par procuration puisqu’il s’agit d’installer une influence sans endosser la responsabilité de la décision.
À ce « quatrième pouvoir », beaucoup ont cru et croient encore. À tort, car il n’existe pas. Tout au pire est-il une arme dont les uns et les autres cherchent à s’emparer pour installer autorité, influence ou notoriété – tous attributs qui, à défaut d’être le Pouvoir, témoignent de l’ivresse liée au sentiment de pouvoir. Quand la presse se laisse griser, elle bascule du journalisme à la communication. Et la très belle phrase portée tous les jours à la une du New York Times « Tout ce qui mérite d’être imprimé » devient « Tout ce qu’il faut imprimer » au nom des logiques d’intérêts.
Machiavel, qui « naquit les yeux ouverts », écrit Quentin Skinner, l’un de ses biographes, n’avait pas cette faiblesse. En une phrase, une seule, il rendit compte dans sa dédicace à Laurent II de Médicis du fondement du pouvoir, de tout pouvoir : « Il faut être prince pour bien connaître la nature et le caractère du peuple, et être du peuple pour bien connaître les princes. » Le pouvoir est un lien, n’est qu’un lien. Il est connaissance consentie, ténue, fragile.
C’est conscients de cela, de ces limites, de ces bornes à ne jamais franchir, que nous proposons dans ce numéro un dossier intitulé « Jeux de pouvoir ». Vous n’y trouverez ni règles, ni recettes, ni « machiavélisme ». Juste trois récits au plus près des piliers du pouvoir décrits par Montesquieu : l’exécutif, le judiciaire et… le mélange des genres.