Stephen Mayes, le responsable de l’agence VII à New York, l’une des plus exigeantes aujourd’hui, appelle les photographes à casser les codes du photojournalisme figé dans l’horreur. « Les représentations de la guerre s’enferment dans des stéréotypes. Certains codes visuels reviennent régulièrement. Ils nous montrent ce que nous savons déjà, au lieu de tenter d’ouvrir de nouveaux horizons », dit-il en dénonçant l’uniformisation des images. Il suggère aux photojournalistes de raconter d’autres histoires, plus proches de la vie quotidienne ou du monde économique. Ce conseil salutaire ne s’adresse pas uniquement aux photographes. Il faudrait qu’il soit aussi entendu par ceux qui financent leurs reportages, notamment la presse.
Les photoreporters anticipent la demande des journaux ou des festivals, voire des sponsors, qui privilégient les sujets sociaux, de préférence dramatiques. Ces sujets suscitent d’emblée la compassion. Ils sont suggestifs mais l’effroi qu’ils provoquent nous met à distance. Surtout, ils ne nous disent pas tout du réel et du monde tel qu’il va. Tant de sujets restent encore à défricher, à raconter, à sortir de l’ombre ! Le photojournaliste peut raconter autrement et autre chose s’il se décale, s’il ose sortir des sentiers battus et si les journaux lui offrent un espace. Le dossier de ce numéro est une bonne illustration de la manière dont il est possible d’aller au-delà des clichés. Le monde des gangs, des camps paramilitaires et des skins se prêtait en effet aux images sanglantes et spectaculaires. C’est en allant plus loin, dans l’intimité des êtres, chez eux ou dans leurs moments d’abandon, qu’une autre vérité a surgi sous l’objectif des photographes : elle est la vie même, troublante et ambiguë – et donc plus vraie. À leur manière, ces hommes et ces femmes incarnent également notre XXIe siècle.