Notre dossier sur les révolutions intimes de la jeunesse incite à se poser des questions. Résumons : une vague de fluidité des genres parcourt le monde. Elle touche tous les milieux, et probablement toutes les cultures. Derrière les enjeux personnels – passer d’un genre à un autre, en changeant de sexe ou pas –, cette vague est aussi politique. Elle modifie le regard de la société sur les individus, et élargit le droit à s’autodéterminer. La société me voit homme, mais c’est moi qui décide si je suis femme, homme, non binaire, a-genre…
La mue qu’elle suppose reste un phénomène méconnu, mais tout aussi fondamental que de choisir sa sexualité ou sa religion. Là encore, la neutralité n’est pas de mise. Face à tous les préjugés s’affirme une véritable capacité à prendre en main son destin. Pour être en paix avec soi-même et avec le monde. La jeunesse d’aujourd’hui, les yeux et l’esprit grands ouverts, est la première génération à nous enseigner cela.
Dans ces périodes de rupture, où la course du monde s’accélère dans des embardées furieuses, certaines photos marquent l’imaginaire collectif car elles résument parfaitement la pensée du moment. Le travail de Marc Riboud nous revient en mémoire. En 1967, le photographe de l’agence Magnum est à Washington pour suivre les manifestations pacifistes contre la guerre du Viêtnam. Il est là au moment où une jeune femme, Jan Rose Kasmir, brandit une fleur face à une féroce rangée de baïonnettes des forces de l’ordre. Le cliché devient une icône de la paix, la « Jeune Fille à la fleur ». Une image, un point de vue. Et pourtant, Riboud est sans illusions sur son propre rôle : « La photographie ne peut pas changer le monde, dit-il, mais elle peut montrer le monde, surtout quand le monde est en train de changer. » Et c’est déjà beaucoup… d’être là.