L’avenir s’écrit dans des métropoles peuplées de jeunes. Certains ont massivement investi quelques places emblématiques, comme le peuple de 1789 avait pris la Bastille. Qui connaissait la place Tahrir avant que de jeunes Égyptiens y fassent et défassent les révolutions ? La place Taksim avant que les amis d’Ayman y rêvent d’un monde plus juste avec une foule de Stambouliotes criant « Taksim est partout ! » ? Au printemps 2011 déjà, pendant que les jeunes Libyens et Tunisiens renversaient leurs autocrates, les Espagnols posaient leurs tentes sur la Puerta del Sol à Madrid, donnant l’exemple aux indignés américains d’Occupy, à Wall Street et ailleurs.
Partout, ce sont des jeunes des classes moyennes, reliés par les réseaux sociaux, qui s’éveillent au collectif – les révolutions n’ont jamais été le fait des pauvres. Mais leurs motivations ne sont pas les mêmes. Dans les pays riches, c’est la peur du déclassement, d’une mondialisation ressentie comme destructrice, le sentiment de vivre moins bien que la génération précédente. Dans les pays émergents, où vivent 85 % des jeunes du monde, c’est au contraire l’aspiration à vivre mieux que les parents, dans une société juste, capable d’offrir une bonne éducation, des services de santé abordables, des transports décents. Les jeunes Brésiliens ne réclamaient pas autre chose lorsqu’ils sont descendus dans la rue en juin 2013. Près de sept millions de jeunes passent l’équivalent du bac chaque année au Brésil, autant sont sortis de l’université récemment. Comment l’économie brésilienne pourrait-elle satisfaire autant d’aspirations ? Les pays émergents ont une croissance positive mais intégrer cette vague de nouveaux venus exigerait des moyens considérables.
Le chômage des jeunes est une des plaies de ce début de XXIe siècle. Dans les pays développés, il a augmenté de 25 % entre 2008 et 2012. Dans les pays d’Europe du Sud, il atteint des records. Comme leurs grands-parents, et comme les jeunes des pays pauvres d’Asie et d’Afrique, les jeunes Grecs, Espagnols, Portugais, Irlandais partent avec leur baluchon. Ce siècle est aussi celui de la mobilité. En vingt-cinq ans, un monde nouveau est apparu, un monde ouvert.
Jusqu’à la chute du mur de Berlin, les Estoniens, sous la chape de Moscou, vivaient confinés dans l’espace soviétique. Leurs enfants parlent anglais, sont les champions de l’Internet et jouent à saute-mouton avec les frontières. À Tartu, la ville universitaire de ce pays balte, le photojournaliste allemand Michael Heck a partagé la vie d’une bande d’étudiants dans une grande maison où souffle un vent de liberté. Au Qatar, une ville ultramoderne est née dans ce qui était encore un désert il y a vingt ans. Au XXe siècle, les habitants des pays du Golfe vivaient sous la tente, au XXIe leurs enfants sont un jour à Londres, le lendemain à New York, les yeux rivés sur leurs écrans. La photographe Isabelle Eshraghi a suivi le quotidien d’une jeune fille de 17 ans, dans une famille exceptionnellement ouverte. En Afrique du Sud, Soweto a été pendant des décennies le bastion de la lutte contre l’apartheid. Vingt ans après l’avènement d’un gouvernement noir, l’immense cité dortoir est devenue un creuset de créativité. Suivant le modèle d’une élite noire bling-bling, les jeunes cultivent leur apparence avec une énergie qui fascine le photojournaliste suédois Per-Anders Pettersson. Un des stylistes qu’il suit depuis des années, fêtard invétéré, s’interroge : « Nos parents pensent sans doute que nous sommes paresseux, que nous tenons les choses pour acquises. Et alors ? Nous sommes libres. C’est ce qu’ils voulaient, non ? »