Revue XXI n°14

Nos meilleurs vieux

Les enfants du baby-boom vieillissent. La France comptera 200 000 centenaires dans un demi-siècle.
Printemps 2011
Nos meilleurs vieux

Vous vous appelez Paul, Jacques, Marie, Antoine, Mamadou, Jeanne, Rachel, Martine... Vous êtes mes vieux. Je vous aime, je vous ignore, je vous déteste, je ris de vous, parfois vous me faites pleurer. Vous m’agacez et vous m’amusez, souvent vous m’épuisez avec vos jérémiades, vos souvenirs d’époque. Mais je n’y peux rien : vous êtes mes vieux et, malgré tout, malgré vous parfois, je vous aime. Comme le camembert, la baguette, les clochers, les temples, les mosquées, le latin et les chiffres romains, vous êtes notre histoire. Vous êtes inscrits dans nos vies.

Alors oui, je vous aime ! Et c’est pour cette raison que je souhaite vous parler franc. Vous me fatiguez, parfois, les vieux. Vous marchez plus lentement dans la rue, et personne n’a envie de vous bousculer. Vous êtes fragiles, et personne n’a envie de vous casser. Bien sûr, vous êtes inquiets, et personne n’a envie d’en rajouter. Mais vous me fatiguez.

Vous avez travaillé et gagné le droit de vous reposer. Nul ne le conteste. Ce que je discute aujourd’hui, ce dont nous devons discuter ensemble, c’est l’importance qu’il faut vous accorder. Vous chérir, vous visiter, vous soigner, vous écouter : oh oui ! Mais vous ne pouvez pas donner le « la » de la vie politique. Un avenir ne s’écrit pas au « quatrième âge ». Toute son existence, Montherlant a voulu croire à « la volupté de vieillir », il a fini par se tirer une balle dans la tête après avoir avalé une ampoule de cyanure : il ne voulait pas « se détériorer » et « répéter ce qu’[il a] déjà dit mieux ». Il y a un temps pour tout et la place de votre âge n’est pas d’être au centre de la politique.

Je ne vais pas vous demander à vous, mes vieux, de suivre l’exemple de Montherlant. Je vous aime et je vous apprécie trop. Non, ce que j’apprécierais, comme ex-jeune et bientôt vieux, comme père de jeunes qui vont devenir des enfants de vieux, c’est que vous réfléchissiez à vous, à vos responsabilités et que, parfois, un peu plus souvent peut-être, vous tourniez votre regard vers l’avenir : vos enfants, vos petits-enfants, qui ont aussi une histoire, leur histoire, à écrire...

Il y a un geste qui m’émeut toujours. Celui d’un enfant au bord d’un étang, qui se penche pour pousser son bateau loin de la berge. C’est un petit geste de rien du tout, il se répétera tout au long de la vie. Il dit : « Va, vis ta vie et deviens. » C’est ce geste que j’attends de vous, mes vieux. Je vous embrasse.

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