Revue 6Mois n°7

Russie, l’appel du Nord

La nouvelle frontière.
Printemps / Été 2014
Russie, l’appel du Nord

Le réchauffement climatique de l’Arctique est tout bénéfice pour les ingénieurs de la mondialisation. La fonte des glaces leur offre des perspectives mirifiques : l’accès à de gigantesques réserves de matières premières et l’ouverture de voies maritimes pour les transporter.
Le sous-sol du Grand Nord russe est particulièrement garni. Riche en or, diamant, zinc, plomb, etc., il recèlerait 30 % des réserves mondiales en gaz naturel et 13 % des réserves pétrolières non découvertes. « Cette région constitue la base de notre prospérité et de notre sécurité futures », disait en 2008 un conseiller du ministre russe des Ressources naturelles.

Dans ce nouveau grand jeu, la Russie a une longueur d’avance. La conquête du Grand Nord russe a commencé dès 1930. Des villes ont été construites au-delà du cercle polaire afin d’exploiter les richesses géologiques. La conquête de l’Arctique, elle, était lancée dès 1937 avec l’installation de stations polaires posées sur la banquise ou sur des icebergs. Cette double politique a sombré avec l’URSS mais elle a été réactivée dans les années 2000. Le Kremlin a mis en place un calendrier afin de faire de l’Arctique « la base stratégique » de ses ressources naturelles d’ici 2020.
Manque à la Russie le moyen de ses ambitions. Les entreprises russes ne disposent pas des technologies nécessaires pour exploiter le Grand Nord. Elles sont contraintes de passer des alliances avec les grandes compagnies américaines, européennes et même chinoises pour explorer le sous-sol et exploiter les gisements de gaz et de pétrole, dans la terre gelée ou en mer. Des projets faramineux sont sans cesse annoncés puis ajournés, comme celui de Chtokman, un immense gisement de gaz à 600 kilomètres au large des côtes.
La conquête de l’Arctique risque de coûter cher. L’exploitation du gaz et du pétrole russes, comme de la nouvelle route maritime du Nord-Est, exclut toute considération écologique. La région est pourtant menacée : l’Arctique se réchauffe

deux fois plus vite que les latitudes plus basses. Certains experts n’excluent pas que la banquise ait complètement disparu au milieu du siècle. Or plus elle fond, plus s’échappe le méthane emprisonné dans les fonds marins. Il s’ajoute aux quantités considérables qui fuient déjà du permafrost, le sol des régions arctiques en cours de dégel. Pour les scientifiques, la libération massive de ce gaz au pouvoir de réchauffement vingt fois supérieur à celui du dioxyde de carbone pourrait provoquer un séisme climatique incontrôlable. Les hommes et les femmes que Justin Jin a rencontrés dans des « colonies » au nord du cercle polaire ont des préoccupations plus prosaïques. Loin de tout habitat, ils vivent par des froids extrêmes dans des campements provisoires, au gré des prospections et des forages.

Beaucoup plus à l’est, en Iakoutie, Evgenia Arbugaeva a vécu deux étés avec des chasseurs de mammouths. Loin de la civilisation, des hommes recherchent dans le sol gelé des défenses d’ivoire emprisonnées depuis dix mille ans. À Norilsk, cité minière de l’Arctique, Elena Chernyshova a cherché à comprendre comment l’on vit lorsque les nuits durent vingt-quatre heures et l’hiver neuf mois. Construite par des prisonniers du goulag à l’époque de Staline, Norilsk produit un cinquième du nickel mondial. C’est la ville la plus polluée de Russie.

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