À Washington, en ce mois de décembre 1992, Fred Whitehurst quitte en complet noir, chemise blanche, et cravate rouge le 935 Pennsylvania Avenue, une forteresse constructiviste aux fenêtres alvéoles enfoncées dans des murs de béton. D’un pas pressé, l’agent spécial s’éloigne de la façade frappée de la devise « Fidélité, bravoure, intégrité » pour héler un taxi. Une voiture s’arrête, la portière claque : « 517 Florida Avenue ! » Le chauffeur noir se retourne : « Vous êtes sûr ? J’aime pas trop aller là-bas. » Le passager entrouvre son veston pour donner à voir son badge doré du FBI et son arme, un 357 Magnum : « Bof… Ça vous servira pas à grand-chose. »
Le « 517 Florida Avenue » est dans un quartier dévasté par la drogue et la violence. L’agent spécial y a rendez-vous avec un obscur petit cabinet d’avocats. Fred Whitehurst vit depuis des années sous pression. Sa carrière est au bord du gouffre. Il est à bout. Le bureau de la responsabilité professionnelle (OPR), la « police des polices » du FBI, l’a placé sous surveillance. Sa femme Sheryl, jusque-là employée modèle, est tenue à l’écart par le Bureau. Il a compris que, seul, il ne pouvait rien. Le cabinet Kohn, Kohn & Colapinto, spécialisé dans la protection des whistleblowers (« lanceurs d’alarme »), est son dernier recours.
Coupe de cheveux militaire, lèvre supérieure mangée par une moustache, lunettes rectangulaires aux montures métalliques, l’homme est carré, athlétique. Docteur en chimie, il travaille à l’unité des explosifs et des résidus du laboratoire de criminologie du FBI. Cela fait maintenant six ans qu’il tambourine aux portes de ses supérieurs. Les rapports de ses collègues, assure-t-il, sont tendancieux, mensongers et fabriqués. Leurs témoignages dans les affaires criminelles oscillent entre incompétence et parjure. Lui-même a subi des pressions et plusieurs de ses rapports ont été réécrits sans qu’il en soit informé.
Aux yeux de l’agent spécial, l’expertise scientifique du FBI n’est invitée dans les dossiers que pour servir l’accusation. Les omissions, les extrapolations et les demi-vérités vont toujours dans le même sens. Il n’en peut plus des « foutaises prononcées au tribunal sous couvert de la science »,il vient de décider « d’arrêter », de tout dire. Il est le premier. Nul avant lui n’a jamais osé se confronter à la formidable machine du FBI. Personne n’accuse le FBI, personne ne surveille le FBI. L’agence fondée par J. Edgar Hoover ne rend pas de compte. En interne, les agents fredonnent leur certitude : « Nous sommes les enquêteurs. Personne n’enquête sur les enquêteurs. »
« Une monstruosité de la justice »
C’était il y a vingt ans. Le « lanceur d’alarme » Fred Whitehurst dirige aujourd’hui un programme contre les abus de la science légale, Forensic Justice Project. Revenu dans sa ville natale de Bethel, en Caroline du Nord, « un des coins les plus pauvres d’Amérique », l’ancien du FBI n’a pas dévié de sa route : « Nous combattons les pratiques scientifiques douteuses et cherchons à identifier les victimes. » Il s’interrompt, soupire : « Mais c’est colossal, presque impossible. »
Dix mille dossiers ont d’abord été rouverts l’an dernier par la justice américaine, qui sont vite devenus vingt et un mille. Tous avaient été étayés par les rapports du laboratoire de criminologie du FBI, son ancien employeur. « Nous sommes confrontés à une monstruosité de la justice, et celle-ci s’est déroulée pendant des décennies sous le nez des Américains. »
Dans les combles de son bureau s’empilent des centaines d’actes officiels arrachés au FBI en vertu du « Freedom of Information Act », une loi de 1966 qui impose aux agences fédérales américaines de transmettre leurs informations à quiconque en fait la demande. Toute l’affaire « Whitehurst vs. FBI » est là, à disposition : l’enquête, les auditions au Sénat, les rapports d’experts, les contre-rapports, les interrogatoires, les dossiers des enquêteurs, les déclarations du FBI et du ministère de la Justice, les témoignages des plus hautes autorités… Les dizaines de boîtes en carton racontent une bataille de vingt ans, celle d’un agent spécial qui osa mettre en cause l’infaillibilité du FBI au prix de sa carrière, de sa famille, de sa fille.
Fred Whitehurst a été élevé en patriote. Ses frères ont tous choisi une carrière militaire.
Pour comprendre les ressorts de l’histoire, il faut remonter aux racines. Fred Whitehurst a été élevé en patriote. Officier dans la Marine américaine, son père commandait une centaine d’hommes d’équipage. Sa mère a menti sur son âge, dans sa jeunesse, pour entrer dans l’armée. Ses frères ont tous choisi une carrière militaire. « Fidélité, bravoure, intégrité » sont des mots qui aujourd’hui encore inspirent à cet homme élevé à l’école du devoir des poèmes contre la tyrannie. Pour son avocat Steve Kohn, « Fred est le héros des héros, il avait tout pour devenir un des dirigeants du FBI. »
Tout juste incorporé à 17 ans dans la Marine comme papa, le jeune Américain reçoit la médaille du corps de la Marine après s’être précipité dans un lac glacé pour sauver le conducteur d’une voiture. Il restait un passager, il y retourne : « J’étais à deux doigts de l’hypothermie. Je plongeais, je ressortais, je n’y arrivais pas. Maman criait pour qu’on m’aide. Elle était sur la rive en sous-vêtements, prête à se jeter dans l’eau. Les gens la retenaient. Je voyais la foule grossir, mais personne ne m’aidait. J’ai abandonné, j’allais me noyer. J’ai réussi à me hisser sur la rive et je suis parti sur la route, j’étais sonné et complètement déprimé : personne ne m’avait tendu la main. Je me disais : “Ils m’auraient tous laissé crever, même les soldats de la base”. »
Peu après, la Marine lui ferme ses portes : « Je souffrais de somnambulisme et je devenais violent pendant les crises. Ils ne m’ont pas gardé. Je suis retourné au lycée, mais j’étais un élève plutôt lent, pas doué. »
En 1968, à contre-courant de la contestation fleurie, il opte pour la jungle vietnamienne : « C’était une guerre injuste, mais je voulais prouver que l’on pouvait se battre avec honneur. J’étais jeune… J’ai surpris des soldats américains en train de violer une Vietnamienne avec le canon de leurs fusils, je me suis interposé et j’ai failli être tué. Une autre fois, j’ai vu des gars torturer un jeune prisonnier pour se distraire, on m’a transféré avant que je ne me fasse lyncher… »
La tête dans les livres
Quand il raconte sa guerre en Asie, Fred Whitehurst est tendu comme un arc. Parfois, le costaud d’un mètre quatre-vingt-quinze se reprend, au bord des larmes. « J’ai alors été muté dans les renseignements. Là, j’ai reçu l’ordre de brûler tous les documents non militaires, dont le journal d’une jeune Vietnamienne, Dang Thuy Tram. L’interprète m’a supplié de ne pas détruire ce document : “Ne le brûle pas, le feu est déjà dedans !” J’ai rapporté le manuscrit aux États-Unis, un acte d’insubordination, et je l’ai caché pendant trente ans avant de le restituer à la famille. » Publié au Viêtnam en 2005, le témoignage posthume de la jeune doctoresse viêt-congest traduit en dix-neuf langues.
Sur le front, il collectionne les décorations, dont quatre étoiles de bronze, celles des héros. Il n’en tire aucune gloire, bien au contraire. Dans un texte écrit des années plus tard, il raconte la scène suivante : « Le commandant de la compagnie s’arrête à ma hauteur : “Vous avez gagné votre médaille de combat de l’infanterie aujourd’hui, félicitations !” Soudain, j’ai vu ce que je n’avais jamais pu voir avant. J’avais échangé le vert des rizières, l’odeur des feux de bois matinaux, le chant d’un jeune garçon qui conduit un buffle à travers champs, la beauté du monde pour une foutue pièce de métal bleue… J’avais troqué la sérénité pour le spectacle des bébés grillés, des soldats virés fous, d’une mère les bras tendus vers son enfant calciné, la plainte du canon de vingt millimètres et le flash brûlant du napalm… » Victime du syndrome de stress post-traumatique, le vétéran aborde ce passé avec difficulté, alors il préfère en rire : « Un grand gaillard comme moi qui pleure, impressionnant non ? »
Après trois ans de Viêtnam, Fred Whitehurst reprend des études de chimie. Il habite avec son grand-père, plombier à Bethel, un bourg paumé de la Caroline du Nord. C’est la vie qui l’attend s’il ne réussit pas : « Je bossais comme un malade, la tête dans les livres du matin au soir. » Il intègre Duke, une des meilleures universités américaines, et présente en moins de quatre ans sa thèse de doctorat sur la résonance magnétique nucléaire du carbone 13. Il est embauché par un laboratoire texan, mais le terrain lui manque : « J’avais besoin de la guerre, d’immédiat. Mon travail était trop abstrait. » Il se présente à la CIA et rate son entretien d’embauche : « Le recruteur m’asticotait sur le Viêtnam, ce n’est pas bon de perdre son sang-froid. » Il médite son échec et tente sa chance au FBI, qui l’accepte.
J’étais prêt à rester caché huit heures d’affilée dans une poubelle percée de deux trous.
Fred Whitehurst
Sa première visite au laboratoire de criminologie du FBI est une révélation. Là, dans ce qui est alors l’Olympe de la science légale, six cents blouses blanches réparties en une trentaine d’unités – toxicologie, balistique, explosifs, cheveux et fibres… – décryptent les mystères des crimes. Le crime, la science, la loi : Fred Whitehurst est conquis. Il veut en être. Mais « on m’a fait comprendre que pour ne pas être un employé de deuxième classe du FBI, je devais aller sur le terrain, devenir un agent ».
Il fait ses classes à Houston, Sacramento et Los Angeles. Avec zèle, comme toujours : « J’étais prêt à rester caché huit heures d’affilée dans une poubelle percée de deux trous si ça permettait de coincer un suspect. Je me souviens être resté si longtemps immobile dans un buisson que j’ai fini par me demander si je n’allais pas servir de collation aux buses. Mes supérieurs trouvaient que j’en faisais trop. » Les resquilles et petits arrangements de ses collègues l’exaspèrent, pas question d’y participer : « Ils volaient l’État, donc nous, le peuple américain, mes parents qui paient des impôts. »
Quatre ans plus tard, il rejoint le laboratoire de criminologie. Un enquêteur, Terry Rudolph, responsable de l’unité d’analyse des matériaux, est chargé de sa formation. Sur la porte des locaux, Fred Whitehurst voit un panneau avec l’inscription : « Décharges d’ordures ». « La plaisanterie ne m’a pas fait rire. » C’est que la réalité n’est pas si éloignée.
Dans le labo, la poussière imbibe l’air conditionné et souille les comptoirs des chimistes. Les instruments ne sont ni nettoyés, ni calibrés, ni vérifiés. Il est atterré : « L’unité était sale, contaminée… une porcherie. Une poudre de plomb tombait comme une bruine grise et inquiétait une collègue enceinte. Comment travailler ? Les pièces à conviction d’un crime étaient polluées par les résidus chimiques d’un autre crime. »
Le responsable de sa formation, Terry Rudolph, lui assène trois préceptes : « Peu importe ce que tu dis en tant que témoin, personne ne viendra mettre en doute tes affirmations, tu es un agent du FBI », « À un moment ou à un autre, plutôt que de mettre le FBI dans l’embarras, tu te parjureras, nous le faisons tous », « Plus les notes sont énigmatiques, moins il y a de chance de subir un contre-interrogatoire de la défense. »
Traversée des « lignes ennemies »
Abasourdi, il récupère le seau et l’éponge d’une femme de ménage. Les dimanches, il revient gratter les comptoirs des laborantins. Dès ses premiers jours, il entend de nombreuses réflexions racistes. Fred Whitehurst avertit ses supérieurs, mais on lui demande de « porter sa croix » comme tout le monde et de se préparer à prendre la relève. Il s’entête, réitère, se heurte à l’inertie.
Sa révolte commence à prendre forme quand, en 1989, s’ouvre à San Francisco le procès de Steve Psinakis, un homme d’affaires grec américain marié à une Philippine soupçonné par le FBI d’avoir transporté clandestinement des explosifs afin de renverser Ferdinand Marcos, l’ancien dictateur de Manille. Le dossier de l’accusation s’appuie sur le travail de son formateur. Les analyses datent de 1982, il faut les rafraîchir, et confirmer la présence d’un explosif dit PETN, élément clé du dossier. Fred Whitehurst se met à la tâche. Il isole quelques éléments, mais reste dubitatif : « Je connaissais les habitudes de travail de Terry Rudolph et les traces de PETN pouvaient venir de la contamination du laboratoire. »
Il apprend que son supérieur va témoigner seul face à la cour : « Là, tout a basculé, le procès allait se dérouler sur la base d’un rapport douteux. » Il vacille, parcourt pendant des heures les rues de San Francisco. « Je suis arrivé au port. Le “USS Liberty” y était ancré. J’ai pleuré. Le navire m’a rappelé les hommes tombés pour défendre notre sens de la justice, je pouvais bien risquer ma carrière. »
De retour au tribunal, Fred Whitehurst traverse les « lignes ennemies ». « Je me suis avancé droit vers l’expert de la défense et je me suis présenté : “Agent spécial Fred Whitehurst, FBI.” J’ai vu sa surprise… » Entendu par la cour, Terry Rudolph, le responsable de l’unité analyse des matériaux, reconnaîtra qu’au lieu de fournir une opinion indépendante il a tenu compte des conclusions des enquêteurs. « L’examen du travail de Terry Rudolph démontre que son incompétence ne se limite pas au cas de Psinakis », notera des années plus tard un rapport officiel.
Le procureur du procès alerte par écrit le directeur du FBI : « J’ai été procureur seize ans, et depuis plus de onze ans au niveau fédéral… De sérieuses questions ont été soulevées sur les procédures du laboratoire. Elles méritent votre attention… » Dans ce même courrier, Fred Whitehurst est décrit comme un « homme attaché au bon déroulement de la justice et à l’intégrité du laboratoire ».
Fred Whitehurst, le bavard, écope de six mois d’essai. Les incompétents reçoivent des primes cash, lui est mis au ban.
L’homme d’affaires grec américain est acquitté. Pour le FBI, cet échec a un responsable tout trouvé : l’expert chimiste, qui a violé le règlement du Bureau l’astreignant au secret professionnel. Le couperet tombe. Fred Whitehurst, le bavard, écope de sept jours de suspension sans solde et de six mois d’essai qui décideront de sa réintégration. Une humiliation. Les incompétents reçoivent des primes cash, lui est mis au ban. Dans le laboratoire, tout continue comme avant et on rit beaucoup : à la recherche d’une pièce à conviction, un agent la découvre dans une poubelle !
C’est alors qu’il découvre qu’un collègue réécrit ses rapports. Quand il reprend les dossiers, l’évidence lui saute aux yeux : la pratique visant à satisfaire l’accusation au détriment de la vérité scientifique n’est pas exceptionnelle. « Les gens avaient peur des représailles, peur de perdre leur emploi, de mettre en péril leur carrière et se contentaient de mentionner ces pratiques dans les couloirs. Nous n’avions pas à juger, nos ordres étaient d’avertir les autorités compétentes. »
Fred Whitehurst franchit un nouveau pas et multiplie les alertes auprès des services officiels : « Je remontais les échelons, mais les autorités compétentes étaient introuvables. J’ai écrit une lettre au comité judiciaire du Sénat présidé, à l’époque, par le sénateur Joseph Biden. On m’a répondu de m’adresser au département des Vétérans… »
Il est brutalement convoqué par le bureau de la responsabilité professionnelle (OPR), la « police des polices » du FBI : « C’est sur moi qu’on enquête ! On m’envoie chez le psychiatre. Ils essayaient de me détruire, de me faire passer pour fou, mais je n’allais pas lâcher… Si j’analyse trois mille cas en dix ans et que je me fourvoie, cela peut avoir des conséquences pour la vie de milliers de personnes. Si seulement dix des six cents experts du laboratoire se fourvoient, c’est la vie de dizaines de milliers de personnes qui est touchée. » Ses supérieurs tentent de le convaincre qu’il ne comprend rien au système judiciaire. Qu’à cela ne tienne : il s’inscrit à l’école de droit de l’université de Georgetown. Quatre ans plus tard, il obtient son diplôme d’avocat.
« Compétences inégalées »
En 1988, le vol Pan Am 103 est pulvérisé au-dessus du village écossais de Lockerbie : deux cent soixante-dix morts ; en 1989, le Boeing 747 du vol colombien Avianca 203 explose : cent dix morts ; en 1990, attentat contre George Bush senior au Koweït… Les dossiers les plus brûlants de l’actualité passent entre ses mains. Année après année, les rapports d’évaluation encensent cet agent spécial qui « possède des compétences en science légale inégalées par aucun autre laboratoire », mais l’homme, lui, est toujours sous surveillance. Et ses collègues le battent froid.
C’est alors que le FBI lui confie une mission de représentation dans une foire d’embauche à l’université de Georgetown. Il se retrouve dans un grand hall « en train de vanter les attraits d’une carrière au FBI » et aperçoit, de l’autre côté de l’allée, « une banderole, marquée “Centre national des lanceurs d’alarme” ». Il n’hésite pas : « Je me suis dirigé droit vers la jeune fille qui tenait le stand. Elle m’a donné le téléphone du cabinet Kohn, Kohn & Colapinto. »
Les avocats Steve Kohn, Mike Kohn et David Colapinto dirigent aujourd’hui un cabinet respecté, spécialisé dans la protection des « lanceurs d’alarme ». Leurs bureaux nichés dans une petite rue du quartier select de Georgetown se superposent sur quatre niveaux d’une étroite maison de briques peintes. Les employés et la ribambelle de stagiaires passent leur vie en file indienne dans les escaliers. Steve Kohn porte des jeans mous qui dégringolent sur des tennis en fin de course. David Colapinto, col amidonné et complet veston, renonce parfois à la cravate. Son bureau au rez-de-chaussée n’a pas de fenêtre, la lumière passe par la porte ouverte sur le vestibule.
Il ne pouvait rien divulguer sans risquer de perdre son travail et se voir inculpé de haute trahison.
Steve Kohn, avocat
Quand Fred Whitehurst les rencontre en décembre 1992, les jeunes avocats viennent de s’installer à leur compte au 517 Florida Avenue, après avoir emporté une bataille contre l’industrie nucléaire américaine. Dans ce quartier que les voitures traversent portières verrouillées, ils ont acheté pour 40 000 euros une maison coincée entre des bâtiments abandonnés. « Ils n’avaient pas peur, de toute façon ils n’ont pas peur. Ils m’ont invité à m’asseoir dans un vieux sofa, j’en sentais les ressorts. Je me suis effondré, ils ont dû me prendre pour un fou. » Deux heures d’une logorrhée ininterrompue mêlée de grosses larmes prennent de court Steve Kohn et David Colapinto, qui se souviennent avec précision de cette première discussion : « Nous assistions à un grand chagrin d’amour. Fred avait le cœur brisé, mais il fallait savoir jusqu’où il irait. Il nous a répondu : “Jusqu’au bout, il faut que ça cesse”. »
En abordant cette partie du récit, Fred Whitehurst m’adresse un triste sourire. Ils « m’ont demandé si j’étais prêt à détruire ma vie et si j’avais de l’argent, mais je n’en avais pas ». Combien a-t-il en banque ? l’interrogent-ils. « J’avais 12 500 euros, alors ils ont accepté 12 500 euros d’avance. Il fallait encore que je convainque ma femme de signer le chèque, c’étaient toutes nos économies. »
À son départ, les avocats se regardent, sceptiques. « Il avait un poste de haut niveau au FBI et un certificat de sécurité maximum. Il ne pouvait rien divulguer sans risquer de perdre son travail et se voir inculpé de haute trahison. On ne pensait pas le revoir », note Steve Kohn. Deux semaines plus tard, Fred Whitehurst revient avec son chèque. « Les “lanceurs d’alarme” ont une foi inébranlable dans le système. Ils sont convaincus que si “papa” savait, tout rentrerait dans l’ordre », relève David Colapinto.
Le cabinet d’avocats déniche une loi plaçant les « lanceurs d’alarme » du FBI sous la protection directe du président des États-Unis. Elle a juste le défaut de ne pas être appliquée. Les avocats sont bloqués, ils ne peuvent rien faire. L’affaire n’a pas éclaté, et Fred Whitehurst est tenu par le secret professionnel.
Le 26 février 1993, un agent de sécurité déboule sur le campus de l’université de Georgetown à la recherche de l’agent spécial. Un « transformateur » vient d’exploser au World Trade Center, le chimiste doit se rendre de toute urgence sur place à New York. Fred Whitehurst se précipite au laboratoire et enfourne son équipement dans une camionnette. Quatre heures de route à tombeaux ouverts avant de découvrir à Manhattan « un cratère de quatre étages de profondeur ». « C’était une bombe, pas un transformateur. La charge avait été placée dans le parking, sous les tours. Il y avait des carcasses brûlées, des nuages de fumée noire, des feux, des murs effondrés, des gens hagards… »
Querelles de laboratoire
Les agences de sécurité fédérales débarquent en nombre. Soudain, un homme se hisse sur un tas de débris et crie : « Silence ! Je m’appelle David Williams. C’est une enquête du FBI, le Bureau est en charge. » Fred Whitehurst reçoit 250 000 dollars, il a carte blanche : « J’ai construit un laboratoire sur place. Le soir, personne ne rentrait à l’hôtel, on dormait sur le site, une pile de dossiers sous la tête. L’attentat avait fait six morts et plus de mille blessés. On travaillait comme des fous, on ne trouvait rien. »
L’enquête traditionnelle avance, en revanche, à pas de géants. Le numéro de série d’un véhicule découvert à proximité de la déflagration conduit à un jeune Palestinien, installé depuis cinq ans aux États-Unis. Le suspect est arrêté. Son interrogatoire mène les enquêteurs à un garde-meuble où sont entreposés cent vingt kilos d’urée et des bouteilles d’acide nitrique. Le mélange des deux produits, le nitrate d’urée, forme un explosif rare et puissant.
David Williams, le superviseur de l’enquête, est persuadé d’avoir identifié l’explosif et a déjà déduit la taille de la charge. Ne reste qu’à en trouver une trace sur le site. Fred Whitehurst n’en identifie aucune, et ne peut fournir le chaînon manquant. La présence d’urée ou d’acide nitrique ne prouve rien, explique-t-il à son supérieur : l’urée est présente dans l’urine et les canalisations ont explosé.
On a décidé de jouer un bon tour au type du labo. J’ai pissé dans une éprouvette et nous avons acheté de l’engrais d’ammonium de nitrate.
Fred Whitehurst
Déçu, le superviseur se tourne vers le responsable d’une autre unité du laboratoire du FBI, celle de chimie et toxicologie, et obtient le rapport qu’il espère. Fred Whitehurst réclame une contre-expertise. « Le type du labo de chimie et toxicologie était incompétent. Avec mon assistant, on a décidé de lui jouer un bon tour. J’ai pissé dans une éprouvette et nous avons acheté de l’engrais d’ammonium de nitrate. » Les deux complices préparent les échantillons. Le responsable du labo de chimie et toxicologie tombe dans le panneau.
Preuve est faite ! Fred Whitehurst retourne voir l’avocat Steve Kohn. Les deux hommes craignent d’être sur écoute, ils se retrouvent dans la rue. « On marchait et soudain Steve m’a dit : “On attaque le président ! Le département de la Justice ! Le FBI !” J’étais affolé, je me disais “Qu’est-ce que j’ai fait ? Il est fou.” Je me suis assis sur le bord du trottoir la tête dans les mains. »
Le procureur de l’affaire du World Trade Center a bientôt vent des querelles du laboratoire. Il convoque l’agent spécial Fred Whitehurst. Qui se mure dans le silence et réclame l’assistance de son avocat. Jamais encore, un agent du FBI n’a parlé contre le FBI !
L’avocat Steve Kohn tente un coup de poker et exige une lettre autorisant son client à s’exprimer en sa présence sans encourir de représailles. Le conseiller général du FBI, Howard Shapiro, obtempère. Steve Kohn exulte : les avocats de Fred Whitehurst peuvent enfin sortir de l’ombre.
Enquête officielle
L’affaire est portée devant le Congrès américain, qui s’en saisit. Une enquête du bureau de l’inspecteur général (OIG), chargé de surveiller les agences du département de la Justice dont le FBI, est ouverte. « Ce n’était pas la première fois que le FBI était critiqué. On avait eu le Watergate, le mouvement des droits civiques, mais là ce n’était pas de la politique, c’était de l’incompétence professionnelle », relève aujourd’hui l’inspecteur général chargé du dossier.
Commence une formidable correspondance entre Fred Whitehurst et le bureau de l’inspecteur général : deux cent quarante lettres, près d’un millier de pages. « Fred utilisait ses dimanches et ses nuits d’insomnie pour tout écrire. On lui avait demandé de tout dire et de ne pas oublier de doubler les interlignes », explique son avocat, David Colapinto. « Il était le type le plus brillant du service, mais il voyait tout en noir et blanc, pas de moyen terme », se souvient David Glendinning, le destinataire des courriers au bureau de l’inspecteur général. À la demande du FBI, le « lanceur d’alarme » se voit imposer des séances chez un psychiatre, le Dr. Carter : « L’homme se battait pour la vérité et la justice. Les autres lui menaient la vie dure, il en souffrait. Si cinq pour cent de ce qu’il m’a dit est vrai, c’est déjà intolérable. »
La pression est éprouvante. Au laboratoire, des collaborateurs se confient sous le sceau du secret et déposent anonymement des dossiers sur son bureau. « Ça se passait très mal, je craignais d’être inculpé. C’était l’enfer. Et puis, un jour, j’apprends que deux de mes collègues ont confirmé. » La procédure lancée par le bureau de l’inspecteur général devient alors officielle. Le directeur du FBI est averti.
J’avais été muté à une unité qui n’existait pas, le placard du placard du placard.
Fred Whitehurst
Le 19 avril 1995, le bâtiment fédéral de la ville d’Oklahoma explose, cent soixante-huit morts. Fred Whitehurst est écarté du dossier : « J’avais été muté à l’unité de peinture, un placard, puis à l’environnement, le placard du placard, et à la robotique, une unité qui n’existait pas, le placard du placard du placard. Et tout ça, en moins d’un an. On me traînait dans le labo, comme une vieille serpillière. » Le FBI dépêche David Williams, le superviseur de l’enquête du World Trade Center. Ses conclusions arrivent jusqu’au paria. Elles reposent sur l’achat par les inculpés d’un engrais commercialisé. David Williams avait conduit son enquête à l’envers dans l’attentat du World Trade Center, il recommence à Oklahoma. Fred Whitehurst alerte ses supérieurs.
« On ne sait pas d’où est venue la fuite, mais un journaliste de la chaîne ABC a lu plusieurs de mes courriers… » Un docteur en chimie, agent spécial du FBI, qui dénonce fraudes, fabrications de preuves, faux témoignages ? Un nouveau scandale ? La rumeur enflamme les rédactions. Micros et bloc-notes en main, les journalistes font le pied de grue devant sa porte. Sa femme et sa fille se réfugient chez leurs voisins. Les caméras le guettent au coin des rues. L’agent, qui ne peut rien dire sans l’accord du FBI, se borne à un « Désolé, je ne peux pas parler. »
« Témoin mystère »
À Los Angeles, au même moment, le plus grand cirque médiatique de l’histoire de la justice américaine défraie la chronique. O. J. Simpson, la star du football, est inculpé pour double meurtre. La presse est en haleine, le laboratoire du FBI sous pression. Un des avocats de la star a, en effet, appris qu’un des experts devant témoigner pour le labo est mis en cause par le « lanceur d’alarme ». « La comparution d’un témoin mystère » est annoncée.
Fred Whitehurst et ses avocats ont à peine posé le pied à Los Angeles qu’ils sont emportés par une tornade médiatique. « C’était dément ! On n’avait pas débarqué que les caméras se ruaient sur nous. Un journaliste m’a demandé qui était mon coiffeur. À l’hôtel Belage, les stars me dévisageaient. C’était le monde à l’envers. » Le juge n’autorise pas le témoignage de l’agent spécial, mais le proscrit est définitivement passé de l’ombre à la lumière. Le FBI contre-attaque par des communiqués, trop tard. Le laboratoire est sous les feux, il ne peut plus y échapper. Un comité d’experts internationaux indépendants est adjoint à l’enquête officielle, dirigée par le bureau de l’inspecteur général.
Fred Whitehurst se voit mis en cause pour avoir lancé des « accusations incendiaires ».
Dix-huit mois plus tard, le rapport final est rédigé. Il est explosif. Les mensonges, les omissions, les témoignages hors du domaine d’expertise, les erreurs d’un personnel non qualifié et incompétent, les exagérations favorables au procureur y sont relevés et dénoncés.
Dans ses conclusions, le rapport recommande la révision des procédures, le recrutement d’un scientifique à la tête du laboratoire et… l’obtention de son accréditation ! Le laboratoire central du FBI n’est même pas aux normes alors qu’il se permet d’accréditer les autres. Pour l’institution, la chute est rude, mais Fred Whitehurst, l’homme à l’origine de tout, n’est pas épargné. Il se voit mis en cause pour avoir lancé des « accusations incendiaires ».
Le 13 mai 1997, le rapport est examiné par le comité judiciaire du Congrès américain. Dès neuf heures, le « lanceur d’alarme » piétine devant les portes de la salle 2 141 : « J’étais enfin là où je voulais être ! Les agissements du laboratoire allaient être examinés publiquement. Ce rapport était du beau travail. Un inspecteur général osait s’opposer au directeur du FBI, c’était sans précédent et courageux, même s’il avait dû faire des concessions. »
Le prix de la victoire
L’ancien inspecteur général, Michael Bromwich, est aujourd’hui associé d’un cabinet international de huit cents avocats. Le visage mangé par une barbe épaisse, il me reçoit dans une salle de conférence feutrée, panneaux de bois roux et moquette épaisse. Nous évoquons son travail de l’époque et la première version du rapport, toujours secrète. Je lui présente l’extrait d’une lettre du FBI : « À la suite des conclusions de l’enquête, nos bureaux collaboreront à un rapport préparé conjointement, mais écrit comme un document émanant du bureau de l’inspecteur général. »
Michael Bromwich dit ignorer ce courrier, mais confirme sa teneur : « Nous avons soumis un premier jet et le directeur du FBI est revenu avec des suggestions. Quand ces suggestions nous semblaient justifiées, nous les avons incluses… Pendant l’enquête, le directeur du FBI, Louis Freeh, a été nommément mis en cause et il s’est tenu à l’écart. Nous traitions avec son directeur adjoint. » Il ajoute : « On ne comprend pas toujours que le FBI est une branche du département de la Justice et qu’il doit rendre des comptes à ce département. »
Dans son livre My FBI, Louis Freeh consacre quatorze lignes à l’affaire : « Les accusations de Whitehurst portaient plus sur la validité de méthodes scientifiques rivales… Elles ont conduit à des changements, mais que des charges aussi graves aient été portées contre ses collègues était extrêmement exagéré. Quant à mon adjoint et moi, nous n’avions pas la moindre idée de la polémique qui agitait en interne le laboratoire. » Le propos fait sursauter l’ancien inspecteur général, Michael Bromwich : « Ce n’était pas une rivalité entre des méthodes scientifiques ! Absolument pas ! Et puis, je ne suis pas d’accord : ils étaient au courant de la polémique au laboratoire. »
Le sénateur Grassley préside une nouvelle audience au Congrès le 29 septembre 1997 : « Le FBI dit une chose et en fait une autre… Le laboratoire peut-il être efficace dans sa quête de vérité quand sa culture conduit à des raccourcis et à des rapports biaisés en faveur de l’accusation ?... Cette culture récompense ceux qui s’inquiètent de l’image du laboratoire tandis que ceux qui choisissent la vérité sont écartés… » Le président du comité judiciaire conclut : « Il n’y a qu’à voir comment le Dr. Whitehurst est traité et comment le sont ceux qui ont commis des malversations. »
Une élue du Congrès s’interroge : « En réalité, on tue le messager, non ? »
« Être le héros de l’accusation, lui fournir n’importe quelle preuve scientifique, c’était ça le moyen d’obtenir de l’avancement », n’a cessé d’affirmer pendant des années l’agent spécial, qui paie aussitôt le prix de son triomphe.
Les conclusions du rapport ne l’épargnent pas : « Le Dr. Whitehurst semble manquer de jugement et de sens commun pour faire un bon enquêteur scientifique… Nous recommandons son transfert. » Une position encore défendue par l’ancien inspecteur général : « Il y avait d’un côté des accusations fondées et documentées, et de l’autre une accumulation d’accusations virulentes et totalement injustifiées… Fred est un personnage compliqué. Nous avons considéré dans nos conclusions que le ton incendiaire des accusations empêcherait toute collaboration avec ses collègues. » Le « lanceur d’alarme » est mis en congé administratif. Une élue du Congrès s’interroge : « En réalité, on tue le messager, non ? »
Pour les avocats Steve Kohn et David Colapinto, le rapport est scandaleux : « Au lieu d’enquêter sur le laboratoire, il démolit Fred. Fred le savait, mais il s’est refusé à freiner la machine. Pour avancer, il a choisi de faire une croix sur la loi fédérale qui protège les “lanceurs d’alarme”. Il n’avait pas à enquêter sur le laboratoire, il devait être de bonne foi, c’est tout ce qu’on lui demandait. Ils l’ont sacrifié ! »
Le rapport entériné, le cabinet d’avocats attaque le département de la Justice, condamné à verser 300 000 euros d’indemnités. De son côté, le FBI met sur la table 1 200 000 euros pour se débarrasser du chimiste. Reconduit à la porte du 935 Pennsylvania Avenue, Fred Whitehurst remet son arme, son badge et se voit interdit de séjour dans les locaux du FBI. Avec sa famille, il quitte Washington.
Une nouvelle vie
De retour à Bethel, sa ville natale de Caroline du Nord, le relégué ouvre un cabinet d’avocat. « Être avocat ici tient du travailleur social… Bien sûr, j’ai sacrifié ma carrière, mais surtout ma famille, ma fille. Elle est indienne, nous l’avons adoptée bébé en 1991. Sa peau est trop mate pour les Blancs de cette ville. »
Une voie ferrée divise en deux la petite ville désertée. Du côté riche des rails, le vent balance les pancartes « À vendre » accrochées aux propriétés abandonnées. L’épicerie est à une demi-heure de voiture, à Greenville, siège du tribunal de Pitt County. L’avocat de campagne s’y rend régulièrement le matin pour défendre les inculpés, noirs à 90 %, qui se pressent dans la salle d’audience. « Le juge connaît la situation, il sait qu’ils n’ont aucune chance de s’en sortir », murmure-t-il.
Deux clients l’attendent à la prison. Il confie son permis de conduire au gardien. Les barreaux de fer des doubles portes coulissantes crissent. L’ancien du FBI s’arrête à la hauteur d’une paroi vitrée pour entendre un premier détenu, puis un second dont il connaît la famille : « C’est un bon gars, mais il est fini. C’est comme ça que la société américaine maintient la population noire dans la misère. »
Debout derrière la baie vitrée de son bureau, l’avocat évoque une de ses passions. À chaque printemps, jardinier de sa ville, il tond les pelouses, organise les espaces et plante des milliers de fleurs. Un fusil à pompe repose appuyé contre le mur : « Mes clients sont dangereux. » Dans son bureau, il a un petit colt : « Il appartient à maman. Je le lui ai pris, elle est capable de s’en servir. »
Fred Whitehurst n’en a pas fini avec sa quête et continue de rassembler les dossiers. Pour tout donner.
Parmi les mètres cubes de dossiers accumulés, Fred Whitehurst a celui d’un ancien collègue du nom de Malcolm Malone, un spécialiste des fibres et cheveux. Le rapport officiel établissait que celui-ci avait menti sous serment. Des années trop tard, les tests ADN ont confirmé ses trop nombreuses erreurs. Eugene Gates a été remis en liberté après avoir passé vingt-huit ans en prison, comme Santae A. Tribble, 51 ans, et Kirk L. Odom, 49 ans, tous deux condamnés à la prison alors qu’ils avaient moins de 20 ans. Les trois hommes étaient innocents.
« Les quelques pommes pourries du laboratoire n’étaient qu’un aspect de l’enquête, ce sont les gens qui ont souffert des conclusions du labo qu’il faut retrouver », insiste Fred Whitehurst qui n’en a pas fini avec sa quête et continue de rassembler les dossiers. Pour tout donner. « Dès que quelqu’un demande une information, je la transmets. »
Quinze ans après la fin de l’affaire, l’ancien inspecteur général, Michael Bromwich, exprime un « regret » : « J’aurais dû insister pour que les dossiers soient rapidement révisés. » La procédure est toujours en cours. Elle a été confiée aux bureaux des procureurs et au FBI. « Cela fait des années qu’ils se réfugient derrière le secret et il n’y a aucune transparence… », s’indigne l’avocat David Colapinto. Son partenaire Steve Kohn l’interrompt : « Tu te souviens ? À l’époque, je te disais que ça concernait 5 000 dossiers et tu me disais que j’exagérais, que ce devait être 3 000… Et aujourd’hui ? Nous en sommes à 21 000 ! »