À 19 ans, Robbie Shone est un jeune étudiant d’art de Sheffield, dans le nord de l’Angleterre, et il peint des paysages à la Turner sur des tableaux gigantesques. Un jour, un ami l’invite pour un week-end de spéléologie. Le jeune artiste ne comprend pas pourquoi des gens s’enfoncent dans des trous sombres lors de belles journées de soleil, mais il se laisse convaincre. Quand il met le pied dans la petite grotte de Long Churn, située dans le parc national des Yorkshire Dales, c’est un coup de foudre : « Il m’a fallu moins d’une minute pour être complètement séduit. »
À partir de ce moment-là, Robbie se fait engloutir par le monde souterrain. Quand il essaye de peindre les grottes lors de ses descentes, il s’aperçoit de la difficulté logistique de la tâche et se tourne alors vers la photographie. « J’empruntais de vieilles caméras au studio de l’école des Beaux-Arts et je les emportais dans les grottes sans rien dire. Il me fallait beaucoup de temps pour les nettoyer, après, pour qu’on ne voie pas où je les avais amenées ! » Sa série de photos reçoit la note la plus basse de son cours. Personne ne se doute que Robbie va devenir un des plus grands photographes de grottes de la planète.
3 millions de chauves-souris
Le jeune Anglais part se frotter aux grottes de Malaisie, la Mecque des spéléologues, que les Britanniques explorent depuis les années 1970. Pendant six ans, il participe à des expéditions dans le parc national du Gunung Mulu, sur l’île de Bornéo. « J’ai photographié pendant plusieurs années Sarawak, la salle souterraine naturelle la plus grande du monde. C’est une cavité incroyable de 700 mètres de long, 396 mètres de large et 70 mètres de haut. Dans ses passages souterrains, on trouve 3 millions de chauves-souris ! »
En 2006, Robbie Shone passe trois mois dans la forêt tropicale de Papouasie-Nouvelle-Guinée avec une équipe britannique et ne lâche pas d’une semelle le photographe de grottes du National Geographic qui participe à l’expédition, pour apprendre tous les secrets du métier. Huit ans plus tard, c’est lui qui se retrouve à cette place de photographe officiel du mythique magazine américain. Il suit alors une équipe de scientifiques russes dans une grotte du sud de l’Ouzbékistan, dont l’accès se trouve sur une paroi rocheuse à plus de 3 000 mètres d’altitude. En 2018, il accompagne des paléoclimatologues dans la grotte la plus profonde du monde, située dans le massif Arabika de la république d’Abkhazie : le gouffre Veryovkina.
Astronautes dans les grottes des Canaries
Dans ses voyages au centre de la Terre, Robbie suit des pionniers de la recherche scientifique : à Lechuguilla, aux États-Unis, des biologistes qui s’intéressent à des bactéries isolées du monde depuis 4 millions d’années, dans le cadre de recherches sur la résistance aux antibiotiques ; au Groenland, des paléoclimatologues qui étudient pour la première fois des stalagmites de plusieurs millions d’années, afin d’aider les chercheurs à prédire ce que deviendra ce territoire après la fonte des glaces. Parfois, il accompagne aussi des programmes scientifiques un peu surréels, comme les astronautes de l’Agence spatiale européenne (ESA) qui se forment en géologie dans les grottes des îles Canaries pour apprendre à rechercher des formes potentielles de vie extraterrestre !

Travailler dans ces conditions n’est pas facile. Robbie, agrippé au mur qui descend dans la grotte, doit aussi fixer son trépied à la paroi pour que l’appareil photo tienne solidement. « Parfois je suis accroché à un puits vertical et je vois directement le fond de la grotte, qui peut être 500 mètres plus en bas. L’autre difficulté, c’est qu’on est dans l’obscurité totale. Je travaille avec de vieilles ampoules de flash au magnésium que les paparazzis utilisaient dans les années 1940. Elles sont très légères, très solides et étanches. Sur la photo de Veryovkina [voir ci-dessous], les deux hommes allument les flashs dans l’eau pour que je puisse les voir. »
Cela fait désormais vingt-cinq ans que Robbie sillonne tous les antres secrets de la planète. « Je pense que les grottes, avec les océans profonds, sont les derniers lieux qui n’ont pas été touchés par l’homme. Parfois, je rentre dans une grotte et je me dis que l’on sera les seuls humains à les voir : elle a été là pendant des millions d’années dans l’obscurité totale, puis nous venons, nous l’illuminons un instant et elle retombe dans son obscurité éternelle. Ces photos sont parfois le seul témoignage visuel de leur existence. »









La climatologue britannique Gina Moseley est la première chercheuse à être descendue dans les grottes inexplorées de l’Arctique pour mieux comprendre les grandes variations climatiques passées et leurs effets sur l’environnement mondial actuel. Elle se trouve ici avec son collègue Tim Allen dans les grottes géantes du parc national du Gunung Mulu, en Malaisie.

La grotte Cueva de El Fantasma, dans le parc national Canaima au Venezuela, en 2016.