XXI : Comment les présidents français décident-ils du mobilier et de la décoration de leur bureau ?
Les présidents, comme les ministres ou les ambassadeurs, ne passent pas une commande directe à un designer ou à un artiste. Ils se voient soumettre des propositions d’aménagement par le Mobilier national. Grâce à ses ateliers et manufactures, notre institution – qui dépend du ministère de la Culture – joue depuis Colbert et Louis XIV un rôle d’interface entre les savoir-faire et la création contemporaine dans le champ du textile – tapis, tapisseries, dentelles, etc. – et de l’ameublement. Nous avons ainsi travaillé avec Matisse, Picasso, Chagall, Fernand Léger, Pierre Alechinsky ou, tout récemment, avec les artistes Kiki Smith, Stéphane Calais ou Fabienne Verdier.
Bien sûr, nous tenons compte du goût du dépositaire – on appelle ainsi la personnalité politique ou le haut fonctionnaire qui occupe les lieux –, et nous l’accompagnons dans son choix. Par ailleurs, lorsqu’il prend ses fonctions, un responsable politique fait également son choix en fonction du message qu’il souhaite envoyer : en décidant de mettre du contemporain ou du patrimonial, du mobilier éco-conçu ou plutôt restauré – ce qui soutient les filières d’excellence dans les territoires –, il ne transmet pas la même image de son mandat. Il peut aussi opter pour du mobilier issu d’une campagne d’acquisition en soutien aux jeunes créateurs. Chaque nouvel arrivant utilise des symboles différents de son prédécesseur.
Les bureaux des ministères, eux, sont tellement iconiques qu’ils changent rarement. C’est le cas par exemple de celui de Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale de 1936 à 1939.
Qui assure l’interface avec les responsables politiques ?
Nous travaillons avec une équipe qui accomplit la mission d’ensemblier décorateur, une fonction très française, qui n’a d’ailleurs pas de traduction dans les autres langues. Cette mission consiste à allier le patrimoine et le contemporain, les matières et les styles. L’équipe d’ensembliers aide le dépositaire à choisir les meubles et les tapisseries, mais aussi à les agencer en fonction des particularités de l’espace – hauteurs sous plafond, boiseries classées, histoire du lieu, etc. –, des matériaux et de la cohérence entre les différents éléments. En revanche, le Mobilier national ne s’occupe pas du volet Beaux-Arts. C’est le Centre national des arts plastiques (Cnap) qui intervient à ce titre, notamment pour les tableaux.
Je tiens à préciser, par ailleurs, que chaque année nos collections s’enrichissent de nouveaux projets, même si souvent le grand public ne retient que notre rôle d’ameublement des bâtiments officiels.
Justement, comment sont sélectionnés les artistes ou les créations qui entrent dans les collections nationales ?
Il existe plusieurs manières de faire. Il peut s’agir d’œuvres réalisées au sein de nos manufactures textiles, comme celle des Gobelins, de la Savonnerie ou de Beauvais, ou bien de pièces de design mobilier prototypées au sein de notre Atelier de recherche et de création, créé par Malraux en 1964 pour soutenir la filière du design en France. Tous ces projets sont soumis à une commission composée d’experts des Arts décoratifs.
Nous procédons aussi par appels à candidatures pour des projets précis – comme pour la table du Conseil des ministres en 2020, par exemple – ou des campagnes plus larges, comme pour les nouvelles chaises de la Bibliothèque nationale de France ou la grande tapisserie des Jeux olympiques de 2024.
Prenons Pierre Paulin, immense designer français : le monde entier connaît son travail grâce à la salle à manger et au fumoir qu’il a réalisés pour les Pompidou.
Enfin, nous menons tous les ans une grande campagne d’acquisition pour faire entrer dans les collections nationales cinquante œuvres de design. C’est ce que l’on appelle le millésime de l’année. Le choix est effectué par une commission d’experts en fonction de critères artistiques, de savoir-faire, de matériaux. Cet outil de promotion permet que de jeunes designers voient leur travail mis en valeur par la presse. Les journalistes sont d’ailleurs passionnés par le sort de ces œuvres. Ils nous demandent toujours lesquelles sont destinées à l’Élysée.
D’un point de vue symbolique et politique, quelles sont les particularités de l’ameublement de l’Élysée ?
Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, le palais présidentiel s’est énormément modernisé. Cela n’a rien d’étonnant. Avec chaque nouvel occupant, on assiste à des ruptures générationnelles.
Pour les créateurs qui participent aux concours du Mobilier national, l’Élysée, c’est un peu le Graal. C’est entrer dans l’histoire. Prenons Pierre Paulin, immense designer français : le monde entier connaît son travail grâce à la salle à manger et au fumoir qu’il a réalisés pour les Pompidou. Mais ce n’est pas nouveau : avant, il y a eu le château de Versailles, et tant d’autres !