Notre conversation avec un conducteur de train établi en Nouvelle-Aquitaine a failli finir en Scrabble. Des lettres se sont baladées – T, O, B, C. Le sujet est un marronnier long de 700 kilomètres : la ligne Polt, acronyme de Paris-Orléans-Limoges-Toulouse et vieille de plus d’un siècle. Ses usagers la décrivent comme une diligence capricieuse, coutumière des retards, des suppressions et de rencontres impromptues sur les voies avec des cervidés. En filigrane, ils l’érigent en symbole d’un mépris pour la France des terres depuis Paris. Plus les années passent, et plus les temps de trajet s’allongent, comme si le progrès avançait en moonwalk sur cette ligne-là.
Polt, devenu hashtag de colère sur Twitter, concentre les maladies les plus graves du chemin de fer français. Sur son tracé, les rails sont usés. Alors, en hiver, le givre les torture plus qu’ailleurs, la chaleur les dilate en été et les locomotives ralentissent la cadence pour éviter le drame. Des caméras de télévision suivent parfois des voyageurs comme s’ils embarquaient pour le triangle des Bermudes. Et les mésaventures du Polt alimentent la chronique de la colère comme du déclin.
On a intégré l’idée que les horaires sont hypothétiques, malgré la cherté des billets.
Marie, usagère du Polt
Marie, mère de famille bavarde et menue sur le quai de Paris-Austerlitz, nous tape sur l’épaule : « On a intégré l’idée que les horaires sont hypothétiques, malgré la cherté des billets. Quand on arrive à l’heure, on se demande si c’est réel. Les rares fois où j’ai dû emprunter des correspondances, ça a été des épreuves mentales. Il faut partir du principe qu’on peut les rater. » Des usagers, à Châteauroux ou Issoudun, ont abandonné le train et misent désormais sur la voiture.
Le Polt fut jusqu’à la fin des années 1980 l’une des voies les plus cajolées de France. Le Capitole, train prestigieux et moderne qui assurait le trajet, traînait une réputation de fusée : il était fiable et rapide. Puis, il a été poussé à la retraite, trois décennies après sa mise en service. Au début des années 1990, la ligne a progressivement été négligée et les conséquences de sa déchéance ont été sous-estimées. Sa modernisation a traîné, suspendue à de grands projets, voire des utopies. Une ligne de TGV, par exemple, qui aurait desservi Limoges. Ou bien l’Hyperloop, capsule du futur fonçant à 1 200 km/h, qui aurait mis cette même Limoges à quarante-cinq minutes de la capitale – contre trois heures vingt aujourd’hui. Environ, bien sûr.
Des investissements, pas de résultats
La réalité du moment est moins futuriste. Régulièrement, des élus de tous bords se manifestent pour signer des pétitions et quémander un train matinal supplémentaire. Ce Paris-Toulouse, qui traverse dix-sept villes et quinze départements, fait ainsi des miracles : il crée le consensus entre des politiques de gauche et de droite. À l’automne dernier, l’entreprise Legrand, spécialisée dans l’électronique et cotée en bourse, s’est fendue d’une lettre au gouvernement. Elle y montre les dents. Sise à Limoges, elle constate que ses employés galèrent pour leurs allers-retours à Paris, et déplore que « le manque criant d’infrastructures modernes et fiables pénalise le rayonnement de notre territoire ». En mars 2023, Clément Beaune, ministre des Transports, et Jean-Pierre Farandou, président de la SNCF, ont visité la préfecture de la Haute-Vienne pour rassurer, sous les huées : des centaines de millions d’euros ont déjà été engagés pour rattraper le temps perdu, ont-ils juré.
De nouvelles rames devraient être mises en circulation en 2026. Sur des rails moins vétustes. Se posent néanmoins des questions autour du T de Polt. Toulouse est desservie par une ligne plus rapide – via Bordeaux – et donc, mieux reliée à Paris. Le cheminot néo-aquitain observe : « Désormais, le Polt est moins un enjeu pour Toulouse que pour d’autres villes, comme Brive ou Cahors. Il vaudrait mieux parler du Polb ou du Polc. Des trajets nécessaires entre petites gares de villes moyennes. » Qui n’ont pas forcément un patron du CAC 40 pour secouer un ministère.