Le 7 janvier 2023, à Memphis (Tennessee), un jeune Afro-Américain de 29 ans est arrêté par la police pour une infraction routière et battu violemment. Tyre Nichols meurt trois jours après à l’hôpital. La vidéo de son lynchage, largement diffusée, laisse l’Amérique consternée, encore une fois.
Selon Human Rights Watch, malgré le soulèvement mondial de 2020 contre les brutalités policières et le racisme systémique, la police américaine a tué 1 186 personnes en 2022. Le chiffre le plus élevé jamais atteint au cours de la dernière décennie. L’usage de la force est beaucoup plus fréquent sur les Noirs que sur les Blancs, notamment avec des armes à électrochocs comme les Tasers, des morsures de chiens, des matraques et des coups. Un Noir risque trois fois plus de mourir de violences policières qu’un Blanc.
Le photographe new-yorkais Jon Henry observe, à chaque fois qu’il y a un meurtre, que la presse et les manifestants s’affolent. « Mais quand tout le monde rentre chez soi, les caméras s’éteignent et les procès se terminent, il ne reste plus que les mères. » C’est sur elles qu’il a concentré son projet « Stranger fruit », ainsi appelé en hommage à la fameuse chanson contre les lynchages des Noirs que Billie Holiday interprétait dans les années 1930.
En s’inspirant des piétà, peintures et sculptures représentant le Christ mort porté par sa mère éplorée, Jon compose pendant huit ans des portraits de mères noires avec leurs enfants. Après chaque prise de vue, il leur demande d’écrire quelques mots sur ce qu’elles ont ressenti. En plus de la fatigue physique de tenir leurs fils dans les bras, elles expriment souvent la fatigue mentale de les imaginer morts. « J’ai peur », confie une femme. « Je sais que je pourrais être la prochaine mère en deuil », dit une autre. « Et si mon fils était le nouveau hashtag ? », se demande une troisième.
Quand Jon contacte Liberty*, professeure de collège à Minneapolis, elle accepte tout de suite. Ils se rencontrent lors d’une rare journée ensoleillée dans Minneapolis enneigée, en janvier 2019. Liberty n’a pas besoin d’autre explication : elle prend son fils de 9 ans dans les bras et regarde l’objectif d’un air de défi. Malgré son jeune âge, l’enfant supporte le froid et ferme les yeux le temps de la pose. Il comprend l’importance du sujet. Le portrait de Liberty et, avec elle, de toutes les autres mères, nous amène à ne pas les oublier. Et à nous battre à leurs côtés.
* Nom d’emprunt