« Quand j’étais en Thaïlande en 2021, j’ai été frappé par l’omniprésence dans la ville des portraits de la famille royale, que ce soit sur des panneaux géants, des affiches dans les commerces ou des objets dérivés dans des boutiques. » Alors qu’il travaille sur un documentaire sur les réfugiés politiques birmans en Thaïlande, le photographe et chercheur en économie Renaud Coulomb décide de s’intéresser à la fascination pour la monarchie thaïlandaise, constitutionnelle depuis 1932. À sa tête, le roi Vajiralongkorn (Rama X), couronné en 2019. Il a succédé à son père, Bhumibol Adulyadej (Rama IX), décédé en 2016 après soixante-dix ans de règne.
Au fil de ses recherches, le photographe français décide de se focaliser sur les tensions entre les ultra-monarchistes et les progressistes. Un des points de crispation entre les deux camps réside dans le crime de lèse-majesté, créé en 1908 et formalisé dans l’article 112 du code pénal thaïlandais : « C’est l’une des lois les plus sévères au monde, elle prévoit jusqu’à quinze ans d’emprisonnement pour chaque chef d’accusation de diffamation, d’insulte ou de menace à l’encontre du roi, de la reine, du régent et du prince héritier. Tenir un discours public ou partager du contenu en ligne sur la réforme de la monarchie ou l’abolition de cette loi, critiquer ou être sarcastique à l’égard des rois défunts ou même de l’animal de compagnie du roi est passible de poursuite », explique Renaud Coulomb.
Dans le pays, il n’est pas rare de voir les plus conservateurs scander leur loyauté envers la monarchie. Comme sur cette photo, prise le 13 octobre 2023 à Bangkok, où Renaud Coulomb immortalise des Thaïlandaises brandissant, en attendant l’arrivée de Rama X, des portraits du roi défunt lors des commémorations de son décès. Le jaune, symbole de la monarchie, inonde la photographie. « Des milliers de personnes se sont réunies ce jour-là au parc du mémorial de Rama IX. Des cérémonies étaient également organisées dans tout le pays pour permettre à chacun d’afficher son respect pour le roi défunt », relate le photographe.
Débat empêché
Depuis 2020, ce sont au moins 272 personnes qui ont été poursuivies pour crime de lèse-majesté, selon TLHR, une association d’avocats thaïlandais pour la défense des droits humains. Ce qui rend cet article 112 particulièrement sévère est le fait que n’importe qui peut s’en emparer pour porter une accusation. Il faisait d’ailleurs l’objet d’une proposition de réforme portée par le parti Move Forward, arrivé en tête des élections législatives de mai 2023 – mais tenu à l’écart du pouvoir. Move Forward proposait de réduire la durée des peines encourues et de réserver le dépôt des plaintes à l’administration du palais.
Mais la Cour constitutionnelle, en janvier dernier, a estimé que toute proposition touchant à l’article 112 était contraire à la Loi fondamentale. Elle a donc sommé Move Forward d’abandonner ce projet de réforme – pourtant en phase avec les attentes de la jeunesse thaïlandaise –, arguant que celui-ci présentait le risque de « séparer la monarchie de la nation thaïlandaise, ce qui est très dangereux pour la sécurité de l’État ». Le 18 juin, elle doit également se prononcer sur la dissolution du parti Move Forward.
En janvier également, un militant a écopé d’une peine de cinquante ans de prison pour avoir publié sur Facebook 27 messages jugés critiques de la monarchie thaïe – chaque critique pouvant faire l’objet d’une peine pouvant aller de trois à quinze ans. Des faits sur lesquels la presse thaïlandaise reste très discrète, selon Renaud Coulomb : « La loi empêche le débat, les journalistes ont peur d’être incriminés. »