« Chaque année, j’ai l’impression que c’est un endroit différent. » Depuis dix ans, le photographe Felipe Fittipaldi, basé à Vancouver, se rend dans son pays natal, le Brésil, à Atafona, une petite ville située sur la côte de l’État de Rio de Janeiro, dans le delta du fleuve Paraíba do Sul. Une des zones les plus touchées par l’érosion côtière.
« C’est l’un de ces endroits où le temps semble s’écouler plus vite. » À chaque fois, la mer a grignoté un peu plus les terrains sableux, les maisons sont un peu plus englouties par l’eau. L’océan recouvre aujourd’hui environ 500 bâtiments, dont des immeubles résidentiels, un hôtel, une station-service et une église. « Cela représente une dizaine de quartiers. » Les habitations épargnées, bien que vétustes, sont régulièrement visitées, comme sur la photographie, pour récupérer portes, fenêtres et autres affaires laissées à l’abandon.
Des milliers de réfugiés climatiques
« L’élévation du niveau de la mer est due aux interventions humaines désastreuses le long du fleuve qui alimente São Paulo et Rio de Janeiro, les plus grandes villes du Brésil, soit plus de 24 millions de personnes », explique Felipe Fittipaldi. Dans les années 1950, 70 % du débit du Paraíba do Sul sont déviés pour alimenter en eau l’agglomération de Rio. Les forêts situées dans son bassin n’ont pas été épargnées, plus de 80 % d’entre elles ont été détruites pour accueillir des pâturages et des zones d’agriculture. Des interventions à l’origine d’un déficit hydrique de l’estuaire du fleuve, qui ne peut plus contrer naturellement l’invasion de l’océan.
À travers ce projet nommé « Eustasy » (mot anglais qui désigne l’évolution du niveau global de la mer) qu’il mène depuis 2014, Felipe Fittipaldi dévoile l’interaction mélancolique entre une communauté et son environnement se dégradant progressivement sous ses yeux. La montée des eaux a créé des milliers de réfugiés environnementaux. « Certaines familles ont été délocalisées, elles ont reçu un peu d’argent, mais l’État brésilien se trouve désemparé face au changement climatique. » Par ces clichés, le photographe souhaite « archiver un paysage qui n’existe plus ». Il continue de se rendre sur place chaque année, documentant les évolutions rapides d’un paysage éphémère.