Si le mur de Berlin m’était brodé

Écrit par Christian Caujolle
En ligne le 08 janvier 2025
Si le mur de Berlin m’était brodé
Un mercredi sur deux, « L’œil de XXI » décrypte une image puissante. Conçue par l’artiste Diane Meyer, cette photographie sur laquelle ressurgit un mur de Berlin fantôme nous amène à réfléchir sur la mémoire et l’absence.
Un mercredi sur deux, « L’œil de XXI » décrypte une image puissante. Conçue par l’artiste Diane Meyer, cette photographie sur laquelle ressurgit un mur de Berlin fantôme nous amène à réfléchir sur la mémoire et l’absence.

Comment, avec une photographie, rendre visible – ou pour le moins perceptible – quelque chose qui n’existe plus ? L’Américaine Diane Meyer, née en 1976, reprend cette problématique de la relation entre photographie et mémoire, entre présence et absence, qui fonde le célèbre essai de Roland Barthes La Chambre claire et occupe une place centrale dans la réflexion de Susan Sontag sur l’image argentique. Une quête que Diane Meyer avait déjà développée, avec son projet « Reunion », réalisé à partir de photos de classe datant des années 1970.

Lors d’une résidence d’artiste dans la capitale allemande en 2012 et 2013, elle a été frappée par le fait que le Mur de Berlin – dont la chute le 9 novembre 1989 a marqué la fin de trente ans de guerre froide entre l’Est et l’Ouest – encerclait une partie du centre de la ville tout en la scindant en deux entités. Elle a alors décidé de parcourir les 160 kilomètres de son tracé, en quête de vestiges à photographier. Parmi les centaines de vues qu’elle a réalisées, Diane Meyer en a sélectionné 43, sur lesquelles elle a brodé, au point de croix, l’emplacement de la frontière disparue, la restituant ainsi dans son volume.

Les sites retenus peuvent être des zones quelconques de forêt urbaine ou des rues anonymes, mais également des lieux symboliques, comme Check Point Charlie, la porte de Brandebourg ou, ici, les environs du Reichstag – emblème du pouvoir où siège à nouveau depuis 1999 le Bundestag, la diète fédérale allemande. Une photo qui résonne avec l’actualité : le parlement allemand est en effet en pleine ébullition depuis l’éclatement de la coalition au pouvoir et le vote de défiance en décembre dernier à l’encontre du chancelier Olaf Scholz. Des élections législatives anticipées se tiendront le 23 février prochain.

Apparition monumentale

Sur cette vue du Reichstag brodée en 2019, Diane Meyer a ainsi réinstallé le mur qui le dissimulait. Elle a choisi un axe qui rompt avec les traditionnelles visions frontales : le mur y apparaît plus monumental que le palais historique. Les fils entrecroisés qui transpercent la feuille de papier photographique lui donnent une matérialité d’autant plus troublante que le mur brodé est transparent, en raison du choix de teintes fidèles aux couleurs d’origine de la photo – un procédé que Diane Meyer avait déjà utilisé dans « Reunion ».

Une tension s’instaure entre ce que nous voyons et ce que nous imaginons avoir existé à la place de la broderie. Par l’entremise de ce mur fantôme, passé et présent s’entrechoquent. Les points de la broderie évoquent également des pixels agrandis, ceux de ces photos numériques que l’on ne sait toujours pas conserver sur la durée.

Durant un siècle et demi, la photographie analogique a bâti la mémoire visuelle. Elle demeure – combinée avec d’autres documents – un précieux élément pour les historiens. Qu’en sera-t-il de notre époque et de ses reflets numériques ? L’intervention manuelle sur ces clichés vient aussi rappeler salutairement qu’une photographie n’est pas seulement une image dématérialisée, et qu’avant l’ère digitale, elle était avant tout un objet. Devrons-nous, pour conserver une mémoire visuelle, suivre la proposition de Diane Meyer, et broder à notre tour sur nos photographies les plus marquantes… après avoir fait l’effort de les imprimer ?