Ce lundi 1er mai 2023 est un jour de fête. Pas pour les dizaines de milliers de Français qui s’apprêtent à défiler sur le territoire avec le sentiment d’avoir vu, une nouvelle fois, une conquête sociale de l’après-guerre rognée pour des raisons budgétaires. Non, en ce 1er mai, Fred Sanchez – dit « Fred-la-crête » – célèbre son anniversaire. Raphaël Helle, photographe qui s’intéresse au monde du travail, l’avait photographié il y a une dizaine d’années, au sein de « la Peuge », l’usine fondée par la famille Peugeot à Sochaux. Le photographe s’y était rendu pendant six mois pour documenter les 3/8, les pauses déjeuner de 30 minutes, les gestes répétés mille fois. La vie de l’ouvrier français du XXIème siècle perdu au milieu d’un engrenage de machines complexes manipulant les carcasses de métal comme des petites voitures.
À la Peuge où il est rentré à 17 ans, Fred-la-crête intervient quand le système se grippe. Sous un « pont » à la sortie de ligne, le mécanicien retouche les véhicules avec des fuites. Il n’est pas sur la chaîne de montage à proprement parlé, mais doit tenir des cadences rapides, comme ses collègues, isolés à leur poste. Fred-la-crête arbore une doudoune sans-manche kaki, au-dessus de sa combinaison : « Il n’était pas censé y avoir droit, se souvient Raphaël Helle. Les ouvriers doivent porter une “tenue image” fournie par l’entreprise, pour des raisons de sécurité, et pour ne pas abimer les voitures. En réalité, chacun marque sa façon d’être avec un détail – des cheveux colorés, un bonnet, un tatouage. Avoir des signes distinctifs est une manière d’exister dans l’usine. »