« Je rencontre la jeune agricultrice en 2019, lors d’une formation sur les fermes pédagogiques, dispensée par la chambre d’agriculture du Tarn. J’habite alors une ferme non loin de chez elle. Je la vois se débattre pour obtenir la fameuse certification ERP (établissement recevant du public) afin que des écoliers puissent visiter son exploitation. Il faut penser au parking, aux normes incendie, au chemin d’accès pour les personnes à mobilité réduite… La jeune femme cherche à reprendre la ferme familiale avec trois paysans. J’ignore alors qu’il ne s’agit là que d’une partie infime des difficultés qu’elle traverse.
Quand, deux ans plus tard, je commence à travailler sur le thème de la transmission dans le monde agricole, la chambre d’agriculture et l’Association pour le développement de l’emploi agricole et rural dans le Tarn – un autre organisme qui aide les jeunes paysans à s’installer – m’orientent vers l’exploitation de la famille de la paysanne, un « cas d’école » selon eux. J’ai déjà croisé ses parents : un couple qui en impose par son parcours. Sur le papier, la transmission aurait dû se passer tranquillement. Alors, comment les choses ont-elles pu dérailler ?
Comment ne pas craindre le développement d’une agriculture à très grande échelle, comme en Roumanie ou en Ukraine ?
Alors que je commence à enquêter, je tombe sur un « état des lieux des terres agricoles » rédigé par Terre de liens, une association qui rachète des fermes pour y installer de jeunes paysans. Je suis frappée d’apprendre dans ce rapport qu’en France seulement une ferme sur trois est transmise. La plupart des terres libérées par les agriculteurs à la retraite servent à agrandir des fermes déjà existantes. Comment ne pas craindre le développement d’une agriculture à très grande échelle, comme en Roumanie ou en Ukraine, où un chef d’exploitation concentre à lui tout seul plusieurs centaines d’hectares ? Faut-il craindre une uniformisation des paysages ?
En parallèle, le chantier de l’autoroute A69 entre Castres et Toulouse avance. Le nouvel itinéraire détruira 500 hectares de terres agricoles et expropriera une centaine de paysans. La jeune agricultrice et ses associés ne sont pas épargnés : bien que leur ferme ne se situe pas directement sur l’axe, une usine de bitume doit être construite à proximité. Cette actualité finit de me convaincre de m’intéresser à l’histoire de cette famille et de ce lieu. Elle illustre à bien des égards les problématiques du monde rural.
Mais témoigner sur ce sujet est si sensible que la paysanne et son père finissent par demander l’anonymat. La jeune femme, tout comme ses associés, se déplace sur les marchés pour vendre les produits de la ferme. Elle ne veut pas que des clients puissent les identifier à travers cette histoire, très personnelle, de transmission. Nous l’appellerons donc Céline. »