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« Ce jour-là, la conversation avec notre contact est d’abord badine »

Les auteurs de l’enquête racontent comment un café à Paris avec une source les a menés jusqu’aux arcanes d'un contrat entre Airbus et le Koweït.

Tout commence début juin 2024. Un contact que nous connaissons depuis trois ans nous propose un café à Paris. Les relations de ce type avec certains interlocuteurs sont habituelles quand on enquête sur les réseaux d’influence et la corruption. Avec lui, comme avec d’autres, nous gardons une relation sporadique afin de rester informés sur ce qui se trame dans les milieux qu’il fréquente. Ce jour-là, la conversation est d’abord badine. Les élections législatives préoccupent cet étranger qui se dit attaché à la France. Il aborde ensuite l’actualité du Proche-Orient, sans en venir aux raisons qui l’ont poussé à nous contacter.

Ce n’est que lorsque nous demandons l’addition qu’il s’explique. « Quelqu’un que je ne connais pas m’a parlé d’une affaire au Koweït, je me suis dit que ça vous intéresserait. » Il affirme ne pas en connaître les détails et ne pas pouvoir révéler le nom de son contact à lui. « Je l’ai rencontré à une soirée », se contente-t-il de dire malgré notre insistance. En prenant congé, il promet : « Je vous enverrai les détails, regardez d’abord les liens que je vous ai transmis. »

Correspondance houleuse

Dans un premier temps, notre interlocuteur nous envoie deux liens vers des comptes Facebook créés sous pseudonyme. Les deux alias publient des documents en anglais et en arabe à propos d’une enquête du parlement du Koweït. On trouve là des extraits de l’enquête en question, des fichiers concernant un contrat de vente d’hélicoptères d’Airbus au Koweit ainsi qu’une correspondance houleuse entre le ministère de la Défense de ce pays du Golfe et Airbus Helicopters, filiale du groupe européen d’aéronautique. En substance, les différents éléments montrent que les Koweïtiens s’inquiètent des conditions de la signature en 2016 de cet accord d’un milliard d’euros et suspectent des détournements de fonds.

Relancée à plusieurs reprises, notre source ne nous donne jamais l’identité de son mystérieux contact, mais finit par envoyer un lien Tor. Depuis ce navigateur web anonyme, communément appelé dark Web, nous téléchargeons des versions exploitables des fichiers. Des versions que nous pouvons vérifier et comparer à d’autres documents officiels, contrairement aux premiers éléments publiés sur Facebook. Rapidement, nous parvenons à vérifier l’authenticité de ces derniers. Mais la manière dont ils nous sont parvenus nous interroge : les informations contenues dans ces fichiers sont d’intérêt général, mais les motivations de ceux qui les ont fait fuiter restent mystérieuses.

Soutien crucial

Débute alors notre enquête en partenariat avec l’OCCRP, le consortium international de journalistes spécialiste des enquêtes sur la corruption et le crime organisé. L’OCCRP a l’habitude de traiter des données complexes et est constitué d’un réseau mondial de journalistes spécialisés dans les enquêtes ardues. Le soutien du consortium avec lequel nous collaborons depuis quelques années s’avère crucial.

Pendant trois mois, nous vérifions ensemble les informations, dénichons par nos propres moyens des mails et documents judiciaires corroborant les affirmations des parlementaires du Koweït – et allant même plus loin. Ce qui nous permet de publier des révélations inédites, impliquant directement l’actuel président du groupe Airbus, Guillaume Faury. Mais au terme de notre travail, une question reste en suspens : est-ce qu’en signant un plaider-coupable à Paris, Londres et Washington, Airbus s’est en réalité mis à l’abri des premières victimes, c’est-à-dire des pays comme le Koweït où des dizaines de millions d’argent public se sont évaporés ?

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