Entretien  |  Aventures

« Entre aventuriers, on se demande à quelle époque on aurait aimé vivre »

Écrit par Robin Bouctot
Difficile aujourd’hui de découvrir de nouveaux territoires, tant les GPS, les drones et les humains curieux ont tout répertorié. Pourtant, sous la mer, sous terre ou au cœur des forêts primaires, l’aventure n’a pas dit son dernier mot, analyse le géographe Olivier Archambeau.
Entretien autour du récit Don Quichotte des pôles

XXI : Au fil des découvertes et du XIXe siècle, la mention « terra incognita » a disparu des cartes et, désormais, les satellites voient tout. En a-t-on terminé avec l’exploration ?

Olivier Archambeau
Olivier Archambeau préside la Société des explorateurs français, fondée en 1937 autour de Paul-Émile Victor, Ella Maillart, Théodore Monod ou encore du commandant Cousteau. Il est également géographe et enseigne à l’université Paris-8.

Non, ce n’est pas possible. Certes, on ne redécouvrira pas l’Australie. Mais aujourd’hui la « vraie » découverte se passe sous la mer, dans l’espace et sous terre. On ne connaît rien de ce qui se trouve sous nos pieds, dans ces milliers de kilomètres de galeries et de grottes. Les géologues ont à peine effleuré la croûte, tout est à cartographier, à découvrir.

Sur terre, l’exploration est toujours possible, mais dans un espace plus réduit. Dans les forêts primaires qui existent encore, les chercheurs envoyés dans le cadre de missions scientifiques découvrent tout le temps de nouvelles espèces de végétaux et d’insectes. Et puis il y a les zones grises, toutes ces régions difficiles d’accès, celles qui sont en guerre depuis longtemps, ou complètement oubliées. Par exemple, qui est capable de dire ce qu’il se passe dans les Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo ?

L’exploration, telle que définie par la Société des explorateurs français (SEF), engage à partir au service de la société.

Oui, c’est comme ça que nous établissons la différence entre un touriste-voyageur et un explorateur. Le second rapporte quelque chose à la société. En échange d’une vie d’aventures, il revient avec des connaissances ou des images à partager. Aujourd’hui, c’est souvent un film, un livre, un cycle de conférences… Mais il n’y a plus besoin d’envoyés spéciaux qui vont cartographier des hameaux, ni d’aventuriers qui vont planter des drapeaux pour leur nation et raconter à quoi ressemble l’endroit qu’ils ont atteint. La société s’est désintéressée des explorateurs, et n’en a pas grand-chose à faire de ce qu’ils rapportent. Ou alors il faut être Thomas Pesquet – qui fait partie de la SEF d’ailleurs, comme tous les cosmonautes. Or il est fondamental de donner à rêver, de partager de l’enthousiasme et de trouver des directions dans lesquelles s’engouffrer.

Dans cinquante ans, on regardera certainement le début du XXIe siècle avec jalousie.

Jean Bouchet, le héros de mon reportage, rêve de voguer vers l’Antarctique avec son voilier. Il est nostalgique d’une époque où l’aventure était possible. Ce sentiment est-il le propre de l’aventurier ?

Entre membres de la SEF, on se demande souvent à quelle époque on aurait aimé vivre. Au temps des corsaires ? Des grandes découvertes ? Il y a une forme de pessimisme et de morosité face à notre époque, et pas seulement chez les explorateurs. Le monde se referme, s’uniformise, la nature vierge est ultra-fragilisée. On se sent prisonnier, la liberté totale semble difficile d’accès. Donc oui, la nostalgie est très forte, mais elle se décale d’époque en époque. Dans cinquante ans, on regardera certainement le début du XXIe siècle avec jalousie.

La vie d’aventurier, telle que vous la définissez, est-elle toujours possible dans le monde moderne ?

Aujourd’hui, il est très difficile de s’extraire de la vie commune et de s’en isoler. On trouve du réseau téléphonique même dans les zones les plus reculées. C’est désormais une question de choix personnels et de volonté de se mettre en danger pour s’extraire de tout ça : on doit sortir et fuir. En Guyane, par exemple, je connais quelques anciens légionnaires qui vivent de leur maigre retraite au fond de la forêt avec un flingue à la ceinture. Ils chassent et vont au bordel, entourés de chercheurs d’or. Et ils ne lâcheraient cette vie pour rien au monde. Ceux qui définissent l’exploration sont ceux qui la font. Et puis il reste également le mano a mano avec la nature, qui est toujours possible dans la grande forêt, dans le désert ou sur la glace.

Aujourd’hui, pour vivre de l’aventure et de l’exploration, il semble qu’il faille de l’argent, chercher des sponsors, être présent sur les réseaux sociaux. Pourtant, certains préfèrent l’anonymat, choisissent de partir vivre sur une île déserte…

Avant, il suffisait de prendre son cheval et de partir pour se retrouver en situation d’aventure et commencer à explorer. Aujourd’hui, les aventuriers sont obligés d’envoyer 4 000 messages par jour pour faire savoir ce qu’ils font. La possibilité d’en vivre dépend presque du nombre de leurs followers. C’est l’enfer. Et puis on ne part pas dans l’espace ou dans les fonds marins aussi simplement. Mais pour ce qui est de l’idéal aventurier, l’anonymat est un choix magnifique.

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