Quand il s’est lancé dans cette exploration des archives photographiques de la Nasa, Jef Bonifacino ne pensait pas que, pendant tout le temps du projet, il allait vivre en ermite entouré de milliers d’images de la Lune. « D’avril à septembre 2023, j’ai plus vu la Lune que la Terre ! », dit-il en ne plaisantant qu’à moitié. Il a mis une semaine entière rien que pour télécharger ces archives en accès libre sur l’un des comptes compte Flickr de la Nasa. Puis il a trié, classé, rangé ces clichés pris par les douze astronautes des missions Apollo qui ont foulé le sol de la Lune entre 1969 et 1972. Chacun de ces hommes portait sur la poitrine, intégré à sa combinaison, un appareil photo Hasselblad (marque fabriquant des appareils dits « moyen format », qui produisent des images au format carré).
Curieux d’aventures spatiales et d’astronomie, le photographe avait déjà vu nombre d’images de ces voyages sur la Lune mais pas toutes. Et pour cause, lors des six expéditions qui ont aluni, 13 887 clichés ont été pris. « La mission principale de ces astronautes était scientifique, géologique. Des milliers d’images sont donc des plans de roches. Il y a aussi des photos plus politiques, celle du drapeau américain notamment, explique le photographe. Mais on leur avait également demandé de faire des visions à 360 degrés des paysages. Et à mes yeux, ces images brutes sont un trésor. »
La Nasa met ces clichés à disposition de tous, à condition d’en respecter les crédits. Pour cette exploration réalisée en Occitanie lors de la résidence 1+2, qui depuis 2015 fait dialoguer la photographie et les sciences, Jef Bonifacino a travaillé en collaboration avec les chercheurs de la Cité de l’espace à Toulouse. C’est à leur contact qu’il a choisi de ne pas franchir la frontière de la fiction. Une précaution visant à la fois à respecter l’éthique de la recherche, et à éviter d’alimenter les nombreuses théories du complot, encore en cours quant à l’exploration lunaire.
Les accidents, les à-côtés, les flous
Faute d’être allé sur la Lune, Jef Bonifacino n’était pas totalement en terre inconnue : il photographie au Hasseblad depuis vingt ans, et il avait déjà expérimenté le procédé des montages sur des paysages terriens lors de projets précédents, Proximité(s) et Densite 0.
Dans les archives, il a découvert des accidents de pellicules, des à-côtés, de rares flous. Avec ses trente montages, il donne à voir autrement l’astre lumineux. « Certes, ces missions ont coûté des dizaines de milliards de dollars, elles ont été préparées par 400 000 personnes pendant des années. Mais une fois sur la Lune, ces hommes étaient seuls à explorer ce qu’il y avait de plus inconnu : un astre dans l’espace. Ces montages humanisent l’exploration lunaire. Et je crois aussi que c’était le bon moment pour faire un dernier survol de ces vieilles photos, qui sont encore à ce jour les seules prises par l’homme. » D’ici quelques années, le programme Artemis de la Nasa prévoit d’emmener d’autres missions sur la Lune. D’autres images viendront bientôt remplacer celles des expéditions Apollo.
Et d’ailleurs, il se pourrait que les astronautes d’Artemis trouvent sur la Lune les appareils Hasselblad que leurs prédécesseurs ont dû abandonner pour rapporter sur Terre un maximum d’échantillons de roches.