« Je fais juste une promenade »

Écrit par Camille Drouet Chades

La photojournaliste biélorusse Tanya Tkachova pèse chacune de ses réponses lorsqu’elle évoque son travail sur Nina Baginskaya. Quand elle a passé une semaine à photographier la militante d’opposition pour l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, à l’automne 2020, elle avait 33 ans et résidait au Bélarus. À l’époque, des vagues blanc et rouge de manifestants descendaient chaque week-end dans les rues de Minsk pour protester contre la cinquième réélection d’Alexandre Loukachenko « vécue comme une injustice par de nombreux Biélorusses ». Quelques mois plus tard, en mars 2021 – comme un demi-million de ses compatriotes –, Tanya Tkachova a quitté le pays. Elle est désormais installée à Hambourg (Allemagne).

Trois jours avant la première rencontre prévue avec la septuagénaire, Tanya Tkachova croise la militante par hasard. « Elle partait manifester, entourée de dizaines de personnes, qui se photographiaient à ses côtés, scandaient son nom, lui serraient la main. » La retraitée « qui est de toutes les manifestations contre le pouvoir depuis près de trente ans » est devenue une icône, quelques semaines auparavant. Une vidéo d’elle résistant aux forces de l’ordre – son sempiternel drapeau rouge et blanc à la main – a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux. On l’y voit bloquée par des policiers de deux fois sa carrure. Elle tente de passer et prononce cette phrase qui devient virale : « Je fais juste une promenade. » Sa détermination fait le tour du monde. Le mouvement tient son visage.

« De la trempe de Navalny »

« Soudain, tous les médias ont voulu dresser son portrait, raconte la photographe biélorusse. Quand nous sommes arrivés, son appartement était rempli de journalistes venus du monde entier : des Américains de Netflix ou la télévision coréenne. Si pendant quelques minutes, son téléphone cessait de sonner, elle se rembrunissait. Dans ces moments, elle s’éloignait des discours politiques qu’elle répétait en boucle, et laissait entrevoir la Nina plus intime, attentionnée et inquiète pour ses proches. » La photographe passe plusieurs jours auprès d’elle : dans son appartement de Minsk, au potager de sa datcha adorée ou dans les transports.

« J’étais ravie que “Der Spiegel” me commande son portrait. Nina est un modèle en tant que femme, et la place des femmes est un des thèmes de prédilection dans mon travail de photographe, relate Tanya Tkachova. Nina se fiche d’être exposée. Elle est comme un poisson dans l’eau au centre de l’attention médiatique. Elle ne craint pas la prison. C’est une personnalité de la trempe d’Alexeï Navalny [militant anticorruption russe et figure de l’opposition à Vladimir Poutine, mort en détention en février 2024, NDLR]. Pour elle, abandonner la lutte n’est pas une option. » Si elle reste une figure publique, toujours opposée au régime de Loukachenko, il est presque impossible d’avoir des nouvelles recoupées et récentes de Nina Baginskaya, la plupart des journalistes étant à l’étranger comme Tanya Tkachova, ou en prison. Il est devenu très difficile pour eux d’informer sans crainte, même en exil, quand familles et proches sont restés dans un pays où plus aucune forme d’opposition n’est autorisée.

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