« Je ne voulais pas finir dans une prison bélarusse »

Écrit par Camille Drouet Chades
Comment photographier son pays quand on ne peut plus y mettre les pieds ? Pasha Kritchko raconte sa démarche.

Comment photographier son pays quand on ne peut plus y mettre les pieds ? Comment le raconter depuis l’extérieur ? Pasha Kritchko a été contraint de s’exiler de sa Biélorussie natale quelques mois après la réélection frauduleuse d’Alexandre Loukachenko en août 2020. « J’ai senti qu’il était trop dangereux pour moi de rester à Minsk. Il me fallait abandonner les miens et l’endroit où j’ai toujours vécu. Pendant la campagne électorale, j’avais été le photographe du leader d’opposition Viktor Babariko, qui a rapidement été emprisonné. Je suis resté le plus longtemps possible, je ne voulais pas me taire. Mais je ne voulais pas non plus subir le même sort. Je pensais que mon exil serait court. » Début 2021, le Biélorusse prend la direction de la Pologne où il est resté près de trois ans, avant de s’installer à Hanovre, en Allemagne, où il vit toujours.

Depuis l’étranger, Pasha Kritchko cherche des façons de parler de son pays. Il s’intéresse naturellement aux destins des quelque 500 000 Biélorusses qui, comme lui, ont fui le régime autoritaire. Les questions de l’exil, de l’identité – et de sa construction – s’imposent rapidement, menant le photographe en Podlasie au printemps 2024. « Je connais la réalité de mon pays ainsi que la signification d’être un Bélarusse vivant à l’étranger. C’est pour cette raison que je me suis intéressé à cette région frontalière. »

Le folklore, mais pas que

Pendant la dizaine de jours durant lesquels il sillonne le territoire, le photographe de 37 ans rencontre des Polonais qui se sentent biélorusses. Il découvre leurs traditions, leurs dialectes, leurs pratiques religieuses qui ressemblent tant à celles de sa famille. « La Podlasie est une terre qui a accueilli plusieurs vagues d’exilés, durant les deux conflits mondiaux du XXe siècle et, plus récemment, avec la guerre en Ukraine. »

« Je suis parti seul, sans savoir où j’allais dormir. J’avais une liste d’endroits que je voulais visiter. Je suis juste allé de village en village, parfois en stop ou en transport en commun, mais surtout en marchant. Je n’avais ni voiture ni vélo, juste mes pieds et le temps. » Et les autorisations nécessaires pour s’approcher de la zone frontalière. « Mais même avec les documents requis et ma carte de presse, j’étais sans cesse arrêté par les autorités, questionné sur ma présence ou celle de mon appareil photo. »

Touchés par ce photographe débarquant d’Allemagne, interdit de séjour dans son pays, et qui s’intéresse à leur petit bout de Pologne, les habitants, eux, s’ouvrent volontiers sur leurs traditions. « Mais l’idée n’est pas uniquement de documenter le folklore. Je veux explorer comment la jeune génération vit cet héritage, comment elle s’en empare pour le faire vivre à sa manière. Ce projet ne fait commencer. Je compte bien retourner en Podlasie, car en observant ses habitants, c’est sans doute ma propre identité dans l’exil que j’explore. »

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